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Alan Davie, l'inclassable.

À quatre-vingt dix ans, avec derrière lui une carrière de plus de soixante-dix années, Alan Davie demeure, toujours, un peintre inclassable. C’est louche, non, un artiste dont la définition échappe aux catégories cartésiennes ? Mais  dites-moi, Picasso, était-il un peintre classable ? Et Miro ? Et Dubuffet ? Passons. Mais en toute première urgence, courez rue Guénégaud, à la « Galerie Gimpel & Müller » qui présente – du 19 octobre au 18 novembre 2010 les toutes dernières créations de cet artiste international et montre la grande toile peinte en 2009 par Alan Davie sous  le regard de la caméra de Fabrice Grange.  ( On peut voir la vidéo sur :  (http://www.youtube.com/watch?v=WgPmkoAR76U) 

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      S’il le fallait absolument, ( mais à quoi cela  servirait-il de ranger les artistes en colonnes par deux?) j’irais plutôt chercher Alan Davie du côté de Séraphine, de Macréaux, de Chaissac, voire du génial facteur Cheval; d’Alechinsky ou de Basquiat et de tant d’autres pour les plus récents … Il faut regarder aussi, en chaussant des lorgnons antiques pour des artistes bien plus anciens ( et en adoptant un point de vue inhabituel )  du côté de Jérôme Bosch, de Paolo Uccelo, de Rubens même, chez  lesquels la représentation figurative s’imposait comme une nécessité et la composition du tableau comme un agencement subtils de corps et de scènes, en réalité de signes… Pour remonter plus loin encore et de façon plus évidente, il faut  aller du côté des peintres rupestres vingt fois millénaires de Lascaux, de Pech-Merle ou d’Altamira où les animaux, les mains, les flèches figurées supposaient un lexique ( que l’on a perdu ). Voilà pour les références plastiques, sémiologiques et esthétiques à l’art répertorié dans nos fichiers bien occidentaux. Mais on aurait tort de ne  pas appeler aussi à la comparaison les  artistes aborigènes d’Australie, les fresques Aztèques, les Ntchak des Kuba du Congo, les pictogrammes des Indiens d’Amérique, les Mandalas, les Tantras etc. On est là plus proche encore peut-être d’une communauté d’inspiration et de formulation. La famille est immense, en tous cas, de ces créateurs d’univers qui ont interprété et façonné le monde réel, banal et plat pour lui donner une dimension poétique et plus encore une profondeur mythique.


 

      En affirmant ce qui précède,  je mélange un peu, dans un spectre très vaste,  les sensations que l’on ressent ( que je ressens ) devant les œuvres d’Alan Davie. C’est une des forces de ses toiles : elles émettent des vibrations. Elles appellent. Le  nom d’Alan Davie m’a été soufflé voilà des années par un autre artiste de grande ampleur, Daniel Humair, musicien de jazz et peintre ( ou bien peintre et musicien de jazz). Il le tenait lui-même du sculpteur américain  Harry Kramer (1925-1997) qui lui avait conseillé dans les années 1950 de  rencontrer au plus vite cet artiste,  peintre et musicien de jazz comme lui. Pour Daniel Humair, Alan Davie est depuis lors un grand parmi les grands. À bien regarder ses tableaux on comprend ce jugement.

 

      L’appréciation est partagée par le marché de l’art. Le site « Artprice » – qui est un des baromètres les plus performants et les plus fiables du marché international de l’art - relève 602 œuvres passées ces dernières années par les plus grandes maisons de ventes aux enchères, comme  Sotheby’s, Christie’s, Philips, Artcurial… dont 254 peintures, atteignant de bons niveaux de prix avec un record, un peu exceptionnel, à 287 781 €, chez Sotheby’s le 13 juillet 2007, à Londres.



 

      La cause est entendue.  Mais pourquoi donc Alan Davie est-il, dans le ciel de l’art,  un de ces points lumineux qui attirent les regards, un de ces points d’ancrage d’où rayonnent les planètes disciples. À mon avis parce que son œuvre est habitée. Dans un passionnant échange de lettres avec James Hyman (entre avril et juillet 2003 ), Alan Davie donne cette explication ( c’est moi qui traduis ): « Mes images ne sont pas à prendre comme des objets d’art mais comme des canaux de communion avec le divin ». Voilà, je pense, la clef qui ouvre l’univers de l’artiste.

 

      L’artiste est alors comme un chamane interprète d’une symphonie qui vient d’ailleurs. « Si l’art est relié à la nature, dans mon cas, l’énergie créatrice et l’impulsion de la NATURE elle-même, trouve son chemin dans moi à travers l’œuvre que je crée » écrit aussi Alan Davie à James Hyman ( je traduis ) . Et cette précision :   « Les révélations magiques naissent dans la manipulation de substances matérielles de base. C’est une sorte d’alchimie qui transforme de façon magique les couleurs que l’on pose sur la toile en une vision de formes et d’espace. Une peinture multicolore  devient alors un événement lumineux dans le ciel ». Y a t-il besoin d’en dire d’avantage ? La peinture d’Alan Davie, il faut d’abord la voir, entrer dans sa folie, ensuite, elle vous emporte. Loin, très loin des préoccupations quotidiennes, vers une sorte d’Eden multiculturel et dans lequel chacun trouve un peu ou beaucoup de soi-même.

 

Jacques Bouzerand



15/10/2010
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