monoeilsurlart

Boltanski chez Emmaüs et l'ennui chez Maud


Boltanski chez Emmaüs et l'ennui chez Maud

Il y a des monuments qu'il ne faut jamais revisiter. J'en ai reçu hier la cruelle et double démonstration. J'ai depuis longtemps pour Christian Boltanski une grande admiration. ( Comparable d'une certaine façon à celle que l'on peut avoir pour Patrick Modiano, une comparaison qu'il trouverait oiseuse. Mais bon... ). Utilisant des éléments très simples comme des boites à biscuits en fer blanc rouillé, de vieilles photographies anonymes, des vêtements vides de présence 'humaine et devenus chiffons, des luminaires improbables ou des bougies vacillantes... Boltanski construisait avec ces quelques riens, d'incroyablement puissantes installations composites. Ainsi, sa belle et poignante "Leçons de Ténèbres" en 1986 à la chapelle de la Salpêtrière ou son exposition si émouvante, "Dernières Années", au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris en 1998, Mais voilà qu'au Grand Palais, en attendant sa prestation de représentant de la France à la Biennale de Venise de 2011, Boltanski nous donne, après Anselm Kiefer ( 2007 ) et Richard Serra ( 2008 ) son exposition; " Personnes ", dans le cadre de l'événement "Monumenta", C'est, à mon avis du moins, la pire illustration de la fable de La Fontaine "La grenouille et le boeuf". Dès l'entrée, un mur de boites à biscuits rouillées, numérotées, cache la vue et toute perspective . Derrière ce mur se trouve étalé tout au long de la grande nef, un ensemble impressionnant de tapis de frippes, chacun retenu dans un quadrillage de barres posées à terre. On se croirait dans un centre de tri chez l'Abbé Pierre et ses Compagnons d'Emmaüs tant abondent en ce lieu les vestes ou les pulls plus ou moins sombres ou colorés... Le tout est surplombé par un énorme amoncellement ( plusieurs tonnes ?) de vieux habits, un peu plus clairs, que les machoîres d'une pince de grue viennent fouiller par le dessus Elles en extirpent une bouchée qu'elle recrachent en pluie sur le tas qu'elle reviennent dévorer. Des centaines de battements de coeur enregistrés et diffusés à forte concentration sonore vous rappellent opportunément et très fort qu'ici l'on est dans le Tragique... Eh oui... ce "monumentum" éphémère, c'est pour l'artiste tout le Tragique de l'Humanité: la vie et Dieu qui la donne et la reprend; c'est ( surtout ) la mort qui ne laisse que de tristes épaves et de pauvres souvenirs; ce sont les camps d'extermination; c'est la Shoah et son effroyable cortège d'ombres funèbres. Comment ne pas s'incliner devant ces évocations? Comment ne pas se taire? Le problème est que Boltanski nous l'a déjà fait... En bien mieux. Et pas qu'une fois. Alors là, devant ce soufflé monté sur une et une seule idée, un concept ressassé; on dit, je dis, la barbe. Imaginons un sonnet de Baudelaire transformé en roman-fleuve par Guy Des Cars; un oeuf de Fabergé prenant l'enflure de la façade du Drugstore des Champs Élysées; un portrait du Fayoum affiché en grand sur le journal mural de la gare Montparnasse pour faire la publicité d'une crème à raser... La journée n'était pa terminée qu'une autre épreuve m'attendait: la rediffusion de "Ma nuit chez Maud" du tout juste défunt Éric Rohmer. ( Hommage et paix à son âme ). Quels admirables acteurs: Jean-Louis Trintignant, Antoine Vitez, Françoise Fabian, si belle, Marie Christine Barrault, si jeune... Mais quel texte !!! Quelle tartine de poncifs et quelle philosophie de comptoir... Pascal mis à la sauce d'une terminale faiblarde, le Jansénisme pour les Nuls, l'Amour en formules infatuées... Ca parle et ça parle comme dans un roman de gare pour intellos autodidactes... Il fallait bien ces quatre acteurs là pour donner un semblant de réalité à ce dialogue sans eux totalement inaudible aujourd'hui. J'avais une profonde révérence pour le chef d'oeuvre proclamé "Ma nuit chez Maud" ... sorti en 1969. J'y avais jusque là échappé par miracle. J'ai fait mon devoir. Je l'ai ( enfin ) vu. Ouf! Je ne recommencerai pas...


JB

PS.   J'ai entendu, hier jeudi sur Europe 1, Pierre Bénichou, grande plume du Nouvel Observateur s'insurger contre l'instrumentalisation par Boltanski de la Shoah. Je donne raison à 100 % à Bénichou. Il y a une impudence atroce à ainsi représenter avec tant de falbalas  le plus grand génocide  que l'humanité ait jamais perpétré. Il y a de l'indécence à accepter  tant de publicité  autour (  "Monumenta" est un "événement Europe 1"  (sic) ... 


13/01/2010
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 20 autres membres