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Extrême Orient: La belle sculpture fait recette ( 2004 )

Extrême Orient:  La belle sculpture fait recette   ( 2004 )

    C’est un phénomène des temps présents. L’art asiatique et plus précisément la sculpture, font une puissante percée sur les marchés mondiaux. Bouddha, Bodhisattva, Shiva, Vichnou, venus de Chine, d’Inde ou de Corée, en grès, en calcaire, en bronze, en céramique…font recette. Les œuvres anciennes et de qualité exceptionnelle trouvent preneur à des niveaux de prix très élevés. A titre d’exemple, ce bronze du 11 ème-12 ème siècle d’Inde méridionale figurant Shiva Nataraja, haute de 79,7 cm. Elle a été vendue 231 500 dollars chez Christie’s à New-York le 27 mars 2003. Mieux encore, un Maitreya assis, bronze doré coréen du 7 ème siècle, Royaume de Paekche, haut de 23 cm, avait été adjugé 1 575 000 dollars le 24 mars 2003 chez Christie’s à New-York.
    Tous les objets d’art asiatiques ne planent pas dans ces hauteurs relativement inaccessibles. Même chez Jacques Barrère, l’un des plus marchands internationaux d’art asiatique les plus en vue, chez qui, rue Mazarine, on peut se confronter à des prix vertigineux, il est possible d’acheter sans se ruiner. Voici, pour 10 000 euros, une sympathique terre cuite avec traces de polychromie: grosse dame, haute de 37 cm ; voici, pour 60 000 euros, une Chimère en bois laqué, Chinoise du Royaume de Chu, de 11 cm sur 27 de long, 14 de large, du  2ème-1er siècle avant J.C. Voilà, pour 80 000 euros un Torse de Bouddha assis à l’européenne, en schiste, Chine VIIème X ème siècle. A la Biennale des Antiquaires, au Carrousel du Louvre, Gisèle Croes, de Bruxelles, présentait un étonnant et rarissime bœuf en bronze du VI ème siècle avant J.C. (au prix tenu secret) et deux Chimères chinoises du 4 ème siècle en terre cuite pour 50 000 euros la paire. Et Antoine Lebel, spécialiste en porcelaines de Chine, une série de 8 immortels du XVIII-XIX ème siècle pour un peu plus de 10 000 euros.

            Thermo- luminescence et ionisation potentielle

    Cela dit, attention ! Hormis les pièces dûment répertoriées et qualifiées, on peut vous proposer ici ou là un « cavalier Tang » pour un millier d’euros alors que chez un antiquaire vous rencontrerez le même pour 4 à 5 000 euros…Le même ? Pas vraiment. Celui-ci est vrai. Le premier…pas sur. « Les gens comprennent assez mal ces différences et ne les perçoivent pas toujours, explique Christian Deydier, président de la Biennale. Et si des objets  faux circulent et perturbent le marché, la loi est impuissante. »
    Alors que faire ? Il est d’abord nécessaire d’exercer sa propre expertise en s’initiant à l’iconographie asiatique, en visitant les musées comme le Musée Guimet. Si l’on veut acheter sans risquer de se faire abuser il faut s’adresser à des marchands reconnus, demander des garanties écrites à ces marchands, veiller à l’état de la pièce, à ses restaurations éventuelles, étudier son pedigree… Il faut se méfier de certains tests qui peuvent ne rendre compte qu’imparfaitement de l’âge réel d’un objet. Il existe en Chine ou ailleurs des ateliers de faux qui mêlent à des argiles contemporaines de la poudre provenant de bris de statues anciennes. Un leurre pour les mesures d’ancienneté. Certains procédés de ionisation potentielle permettent aussi de vieillir les résultats des analyses. Comme ces trucages sont parfois appliqués à des pièces de très haut prix, on peut s’y laisser prendre. « Lorsque vous achetez une sculpture avec un visage, regardez l’œil et son intensité. Si le regard n’ a pas d’intensité, vous pouvez être certain qu’il s’agit d’un faux ou d’une pâle copie » dit Jacques Barrère .
    Enfin, comme l’affirmait plaisamment un célèbre antiquaire Nicolas Landau, ( l’inspirateur de « l’Homme pressé » de Paul Morand) « Il ne faut jamais acheter un objet en croyant que  sa copie est au Louvre ». Les œuvres de très grande qualité sont très rares, de plus en plus rares, donc très chères, de plus en plus chères. Elles sont aussi presque toutes répertoriées. Il ne faut pas rêver. Le marché aujourd’hui est brutal. Il faut être méritant. Et aligner des euros ou des dollars. Un grande tête de Bouddha (greco-bouddhique) qui valait dans les années 70 autour de 1000 euros peut se vendre quelque 100 000 euros en 2004. Les bronzes archaïque atteignent des prix beaucoup plus élevés. « Un beau bronze classique que l’on trouvait il y a 10 ans pour 60 à 80 000 euros, vaut aujourd’hui 150 à 200 000 euros quand on le trouve… » affirme Gisèle Croes. Qui ajoute : « La clientèle évolue vers l’excellence. Elle cherche des objets bons plus que décoratifs ». Pour sa part, Christian Deydier précise : « Dans la qualité on trouve de tout.  Question de patience et de compétence.  C’est en tout cas le moment d’acheter de la belle sculpture chinoise, période Han ou Tang. Ces prix ont eux beaucoup baissé. »

    Sans compter le mobilier, la peinture et la calligraphie, Antoine Barrère détermine trois catégories d’objets de collection asiatiques : les objets d’art funéraire, du néolithique aux Tsing (1900) ; les objets d’art religieux bouddhiques du 4 ème siècle au XX ème siècle ; les objets d’art décoratifs depuis le néolithique, en céramique, (porcelaine depuis le X ème siècle), jade, etc.Ces objets sont eux même soumis à une stricte hiérarchie. En tête viennent les productions destinées à l’Empereur, puis suivent celles qui sont destinées aux monastères, aux membres de la cour, aux mandarins, aux oenuques…Il en va de même dans les tombes, Qu’elles soient de princes ou de riches paysans, les différences sont perceptibles.
    On ne sait pas exactement ce qui constituait la richesse impériale, soumise à des captations de courtisans indélicats. Le jour où un empereur voulut faire établir un recensement, les oenuques avaient mis le feu aux entrepôts pour éviter d’être pris la main dans le sac. On estime que la Cité interdite rassemblait 10 millions d’objets répartis dans 9999 salles. Il en reste environ 2 millions en Chine dont un million à Taïwan.

        Des centaines de millions de terres cuites

    Jusqu’aux années 1920 les objets qui sortaient de Chine étaient réservés à quelques initiés. Ils vivaient cette passion comme le Suédois Oswald Siren auteur en 1926 d’un ouvrage un monumental ouvrage en 6 volumes qui fait toujours référence : « La sculpture chinoise du Vème au XIV ème siècle». De nos jours, il n’est plus possible de sortir de Chine des pièces d’antiquité. Hormis peut être des terres cuites que l’on trouve sur tous les chantiers chaque fois que l’on creuse le sol. Des centaines de millions de poteries et de sculptures en terre cuite ont été enfouies dans les tombes. Les musées en regorgent.
    En France, on trouve encore beaucoup d’objets rapportés au XIX ème siècle de Chine récupérés lors de sacs et de pillages comme le sac du Palais d’été par les troupes françaises et britanniques en 1861. « Le Palais d’été était une merveille du monde, écrit alors Victor Hugo. L'art a deux principes, l'idée, qui produit l'art européen, et la Chimère, qui produit l'art oriental. Le palais d'Été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. » Et ce Palais était bourré d’objets d’art. Les trésors chinois n’en furent pas anéantis pour autant.Plus tard, au début du XX ème siècle, l’empereur PuYI vendit beaucoup de ses possessions. Dont on retrouve la trace dans les grandes collections publiques ou privées.
        
L’art d’Extrême-Orient est aussi très souvent présent et apprécié dans les ventes publiques, comme en témoigne numéro après numéro la Gazette de l’Hôtel Drouot : une dizaine de pages  référencées dans chaque édition de l’hebdomadaire, des ventes annoncées, présentées,  analysées. Les plus grandes maisons de vente font de cette section géographico- historique un programme de choix.  De PIASA à Pierre Bergé, de Beaussant-Lefèvre à Oger&Dumont, Millon et associés, Cornette de Saint-Cyr, sans oublier Tajan l’une des premières à avoir investi le domaine…
En 2002, la première vente d’art asiatique de Christie’s-France, avenue Matignon, totalisait 2 624 653 euros pour 213 vendus sur 356 présentés. A des niveaux parfois surprenants. Sur une estimation haute de 80 000 euros, un fragment provenant des grottes de Longmen, « Mains d’un disciple de Bouddha », chinois, dynastie Tang (VII ème siècle) obtenait ainsi 305 250 euros.. Chez Cornette de Saint-Cyr, le 25 avril 2003, à l’Hôtel Drouot, un Bouddha tibétain du XIV ème siècle, assis en vajrasana sur un socle en forme de lotus, atteignait 13 000 euros. Chez Tajan, les 25 et 26 novembre 2003, à l’Hôtel Drouot, deux statuettes formant pendant en stéatite céladon. Chine, XVIIIe obtenaient 6 257  euros.    




Encadré : Louis XV, pionnier des arts asiatiques

 Louis XV,  fut en France l’un des premiers à tomber sous le charme des arts d'Asie. Le Bien Aimé, tout imprégné du style Rocaille qu'il affectionne, retrouve sans doute là une musique  familière dans les formes tourmentées venues du fin fond de l'Asie et liées à l'esprit de ces civilisations millénaires et mystérieuses. Mais dans cette pulsion de découverte il est loin d'être imité par la noblesse et la bourgeoisie de son temps. C'est au XIX ème siècle en réalité que la mode et l'intérêt se tournent plus résolument vers l'Orient Extrême. En 1861  la première ambassade française s’installe à Pékin. Les collections de l’empereur Napoléon III s’enrichissent d’objets. L’impératrice Eugénie les déploie au palais de Fontainebleau. L’aura poétique et romanesque de l’Asie est alors  considérable. L'époque est celle des grandes expéditions et des conquêtes  d’un Jules Ferry. Les frères Goncourt par exemple et leur ami Clemenceau, sans parler de nombreux peintres et illustrateurs, s'entichent du japonisme. Franz Lehar célèbre le Pays du Sourire et le savant Guimet mérite par l’ampleur de ses travaux et ses connaissances d'accoler son nom au futur et très riche Musée de la Place d'Iéna à Paris (dont la récente rénovation fait un exemple de réussite et de qualité pour tout ce qui concerne l'Asie).
Curieusement, tout au long du XX ème siècle, ce réservoir inépuisable de beautés folles ou sages, sobres ou délirantes  n'a pas   en Occident le succès et la gloire qu'on aurait imaginés. Il n'y  séduit qu'une sélection restreinte de fins amateurs  de très haute volée, de collectionneurs  passionnés et très experts.  L’art asiatique  trouve un terrain d'accueil un peu plus favorable auprès des héritiers des voyageurs ou des fonctionnaires de l'époque coloniale qui avaient rapporté dans leurs malles des porcelaines, des sculptures, des vases cloisonnés, des brocarts, des netsukés et des estampes japonaises.
Mais voilà qu'en ce début de XXI ème siècle, et à dire vrai depuis quelques années, un véritable engouement pour les arts asiatiques s'installe en France. Il va de pair avec le vif intérêt qui se développe pour les revues spécialisées dans les arts traditionnels d’Asie, d’Afrique, d’Océanie et des Amériques comme « Art Tribal » ou « Kaos ». Effet de la multiplication des voyages vers ces destinations lointaines ? Résultat du travail assidu d’un Claude Deydier ou d’un Jacques Barrère, d'un effet de l’attractivité nouvelle du Musée Guimet remis à neuf et superbe, d’un suivi plus affirmé des médias sur ces pays et leurs créations ?  Intérêt spéculatif autour d'objets de plus en plus convoités par les musées ou les investisseurs déçus des marchés boursiers ?  Tout y concourt. Les antiquaires en tout cas constatent plus qu'un frémissement : un attrait certain.



Publié par Le Figaro  ( 2004 )



02/10/2009
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