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Fauteuils: un marché bien assis ( 2000 )

Fauteuils: un marché bien assis
 
     Louis XIV faisait du fauteuil un haut signe de distinction.  Au château de Marly, raconte Saint-Simon, " les princes et les princesses s'étaient établis sur de petites chaises de paille garnies, sans bras, pour éviter de donner des fauteuils que quand il n'y avait pas moyen de faire autrement. " L'Académie Française compte et numérote par fauteuil. Et Valéry Giscard d'Estaing, en 1981, lorsqu'il abandonne à regret le pouvoir à François Mitterrand, laisse face à la caméra de la télévision son fauteuil vide. Symbole.
     Le fauteuil est par excellence le mobilier, " meublant " ( lourd et difficilement déplaçable ) ou " courant " (  plus léger ), d'un certain style de vie. Molière et ses Précieuses le surnommaient non sans raison " les commodités de la conversation ". Signé Jacob, Ruhlman ou Philippe Starck, le fauteuil est un objet fétiche, l'outil et la parure indispensable du salon. Mobile par définition, facilement agenceable avec des meubles d'autres époques, restaurable, il n'est pas  étonnant qu'il soit l'un des meubles les plus recherchés et les plus vendus. Un fauteuil de qualité est toujours un bon investissement. Un marché bien assis qui ne se déprécie pratiquement jamais. Pas une brocante, pas un antiquaire, pas une vente aux enchères qui n'en propose à foison, comme le démontre une simple consultation de la Gazette de l'Hôtel Drouot : siège seul ou dépareillé, ou bien par paire, par six, par huit...On en trouve de toutes qualités et à tous les prix, de quelques centaines à plusieurs millions de francs. C'est dire que le monde du fauteuil est extrêmement vaste et exige quelques clés pour y pénétrer.
     Son histoire qui se confond avec celle du confort en est une. Et l'on peut voir encore, en provenance du trésor de Saint-Denis, le fauteuil du bon roi Dagobert, un peu raide certes, mais patiné par douze siècles d'antériorité. Ce trône s'appellait encore un faudesteuil ( " chaise pliante " en germanique ), il n'a pris qu'au dix-septème siècle le nom qu'on lui donne toujours.
                    
               Bergères, duchesses et crapauds
 
     Comme il a accompagné l'histoire, le fauteuil a enregistré toutes sortes de variations. Chaque modèle évoque un univers. Dans son Dictionnaire des Antiquités, solide et documenté, qu'il vient de publier aux éditions Larousse, Jean Bedel cite ainsi la bergère, le cabriolet, la caquetoire, le crapaud, la duchesse, la marquise, la veilleuse...Reprenons ses distinctions, elles sont éclairantes : la bergère  est un fauteuil à joues pleines aux côtés garnis d'étoffe, de cuir ou de cannage. Un coussin bien rembourré assure la mollesse de l'assise. Le prototype date du début du 18 ème siècle, succédant au fauteuil en confessionnal orné, lui,  d'une paire d'oreilles appuie-tête. La marquise est un fauteuil bergère large et confortable, pratiquement à deux places. La duchesse est un fauteuil au siège très allongé ( presqu'une chaise longue ) que complète souvent un tabouret repose-pieds. Le fauteuil " à la Reine " présente un large dossier plat et une assise large et plate.
     Le fauteuil cabriolet est un fauteuil de petite dimension à dossier incurvé épousant la forme du dos. Sa forme est inspirée de celle de la chaise à porteur à une place, en vogue à l'époque. Siège mobile et léger, à accotoirs rembourés, né vers 1750, il est en parfaite phase avec l'esprit de ce temps des philosophes.  Il ne faut pas pour autant le confondre avec le fauteuil Voltaire, à haut dossier incliné et arrondi, à boiseries apparentes, plus imposant, qui n'a vu le jour que sous Louis-Philippe.Le crapaud, très Second Empire, est un fauteuil capitonné à dossier en gondole, enveloppant, à pieds courts cachés par des volants ou des franges. Citons aussi la chauffeuse, entièrement capitonnée, le fauteuil de cabinet à siège canné, le fauteuil à coiffer. Quant à la caquetoire on appelle ainsi parfois, à tort, un fauteuil à haut dossier et accotoirs.  En réalité c'est le nom de la " chaise à femme " du 16 ème siècle, imaginée à une période où le vètement féminin était assez large et qui est un siège à dossier bas sans accoudoirs.
 
                    Variations dynastiques
               
     Ces modèles génériques varient au fil des dynasties pour s'imprégner du style à la mode, comme l'indique fort bien Robert Ducher auteur de la Caractéristique des styles ( Flammarion ). Sous Louis XIII , règne du bois tourné, les montants, les pieds, les supports d'accotoirs, les entretoises ont une forme en H. Les dossiers sont hauts et, comme l'assise, comportent une garniture en cuir ou en étoffe. Les accotoirs se terminent en crosse. Sous Louis XIV les fauteuils durant la première partie du règne ne s'éloignent guère des modèles du passé. Ils se compliquent cependant.  Les pieds en gaine ou en balustres se chargent de godrons, de cannelures, de feuillages. Dans une seconde période les fauteuils au contraire s'allègent. Les lignes s'assouplissent. Les pieds se galbent, prennent une position oblique, deviennent des pieds de biches, se terminent en sabots.
     Sous Louis XV l'élégance s'affirme. Les bras se courbent, s'évasent, s'inscrivent dans une ligne continue avec le dossier, lui même " violoné ", c'est à dire rétréci à la hauteur des accotoirs. Des moulures accentuent l'harmonie de l'ensemble tandis que des décors sculptés, fleurettes, palmettes, coquilles, feuillages, apportent des touches de fantaisie.  Un peu plus tard, on parlera d'un style transition, des guirlandes à l'antique viendront appesantir les lignes. Sous Louis XVI, les formes changent. Les pieds sont droits, souvent cannelés, raccordés à la ceinture par un petit cube à rosace. Les fauteuils sont dits " à médaillon " ou " en chapeau ",  en fonction de la forme de leur dossier.  A médaillon lorsque le dossier est ovale ; en chapeau lorsqu'il  est légèrement cintré et rejoint les montants par deux décrochements. Des montants parfois surmontés d'un panache, d'une pomme de pin, etc. Le siège est recouvert de tapisserie, de tissu imprimé ou de velours. La soie brochée est réservée aux mobiliers de luxe. Sous le Directoire, retour aux sièges curules, aux piètements en X, aux colonnettes en hommage à l'Antiquité. Sous le Consulat, les Sphynx et les Sphynges viennent signer l'époque " Retour d'Egypte ". Sous l'Empire les pieds arrières s'arquent, ceux de devant sont droits reposant sur de hautes toupies. Des cygnes, des chimères s'emparent des accotoirs. Les dossiers s'enroulent vers l'arrière. Sous la Restauration et sous Louis Philippe les dossiers s'incurvent soit dans la ligne des accotoirs, soit de manière enveloppante dans la forme dite gondole. Les bras des fauteuils se terminent en volutes, en col de cygne, en tête de griffon. Les pieds avant conservent les formes en balustre ou en fuseau mais de section carrée, ils finissent par se galber et s'arrondir en cuisse de grenouille. Sous Napoléon III fleurit le néo-Louis XV, plus tarabiscoté, plus chantourné. Le bois noir fait fureur. Il arrive même que pour être dans l'air du temps on repeigne en noir à cette époque d'authentiques et anciens fauteuils Louis XV...
     Dans un livre publié en 1968 chez Flammarion, mais écrit en 1929,  " Au pays des antiquaires ",  par André Mailfert, ce " maquilleur professionnel ", comme il se dépeint lui-même sans mollir, raconte comment il s'amusa à truander tout au long de sa carrière qui commença avec le siècle.  Des fauteuils nés de la veille, passés entre ses mains expertes, veillisaient comme par miracle et trouvaient preneurs au plus haut cours. Pour parfaire ses finitions, il enfermait, raconte-t-il, ses meubles dans un pigeonnier ou une vingtaine de volatiles leur concédaient paraît-il la plus originale et efficace des patines.
     Tout cela pour dire que la vigilance s'impose. Les antiquaires et les experts, qui ont l'oeil et l'expérience, sont les mieux à même de décrypter les objets, de distinguer le faux du trafiqué et d'exprimer leur valeur. Sciage, assemblage, usure, restaurations, estampilles...tout compte.
 
               L'autre rendez-vous de Maastricht
     
     Les plus beaux des fauteuils sont assez fréquemment présentés à la vente. L'antiquaire très renommé, Bernard Steinitz, installé rue du Cirque à Paris, en présentera naturellement  du 18 au 26 mars à Maastricht aux Pays Bas ou se tiendra la Tefaf, la grande foire annuelle internationale d'art et d'antiquités. Un rendez-vous pour  195 marchands de première  catégorie venus de 13 pays et les collectionneurs de premier plan. Parmi les meubles apportés à Maastricht par Bernard Steinitz figurera un superbe fauteuil " à la Reine "de 1750, estampillé " F.Leroy ".  Ce fauteuil, rocaille, a conservé son ancienne dorure. Il est l'oeuvre d'un menuisier chevronné dont un lit à la turque orne la chambre Louis XV au château de Vaux-le-Vicomte. Jean-Marie Rossi dans son magnifique magasin rénové de la place Beauvau, Aveline, montre pour sa part quelques très belles pièces. Ainsi un fauteuil en acajou à dossier cintré ajouré, avec un décor de caducée. Ce meuble d'époque Louis XVI, attribué à J.B.B. Demay, aurait fait partie d'une commande de Lavoisier. Un fauteuil " à la Reine ", estampillé Jean-Jacques Pothier, à chassis en bois de hêtre doré, de structure Louis XV, mais à décor néoclassique: frise de grecques, guirlande de laurier, acanthe etc.,  qui a son pendant au Metropolitan de New-York. Un fauteuil de bureau Louis XVI en acajou à assise cannée estampillé " J.Canabas ", marqué au fer " Ass. Nat." avait sans doute été commandé en 1790 pour meubler l'Assemblée Nationale.
     Des meubles de cette nature auraient leur place dans les collections de très haut niveau comme celle de Djahanguir Riahi, un Iranien né en 1914, ingénieur des Ponts et Chaussées, grand bâtisseur au Moyen Orient, installé à Paris depuis 1956 et passionné par l'art français du XVIII ème siècle. Rompant avec les habitudes du secret, cet artiste en collection et mécène discret des musées nationaux, a ouvert ses portes à l'éditeur Franco-Maria Ricci. Celui-ci a consacré à quelques uns des trésors à couper le souffle de Djahanguir Riahi un très beau livre que l'on trouve dans la boutique FMR, chaleureuse et très en vogue, dirigée par Yves Dantoing, rue des Beaux-Arts à Paris.
     A ces niveaux, les antiquaires répugnent à révéler publiquement le prix de leurs trésors. Des indications en revanche sont facilement repérables au fil des ventes aux enchères. Lors de la vente Roberto Polo, le 7 novembre 1991, Me Tajan adjugeait 3 402 901 francs quatre fauteuils à dossier " à la Reine " en bois sculpté et doré, décor de coquilles, pampres, feuillages et rinceaux, estampilllés " Père Gourdin ", fabriqués vers 1755. Ce qui montre aussi la formidable et récente appréciation de l'ébénisterie art déco, le même commissaire-priseur adjugeait 997 700 francs le 19 mai 1999 à l'Espace Tajan une paire de fauteuils en chêne ciré mouluré et sculpté à dossier droit et plat légèrement incliné signés Albert-Armand Rateau, ébéniste français ( 1882-1938 ) Au cours de la même vente une paire de fauteuils en noyer à dossier droit évidé à trois barreaux galbés d'André Arbus ( 1903-1969 ) trouvait preneur à 299 310 francs.
     On peut aussi s'évader vers d'autres horizons et s'intéresser aux fauteuils venus d'ailleurs comme ces fauteuils 19 ème siècle chinois en bois de catalpa à 10 000 francs la paire ou en bois de jumu ( orme ) à 12 000 francs la paire que cède Richard Nathan dans sa boutique Arts d'Asie, 16, villa Condorcet à Saint-Ouen.
                                           
 
 
Experts et marchands
 
Aveline Jean-Marie Rossi 94, rue du Fg Saint-Honoré 75008 Paris Téléphone: 01 42 66 60 29
Steinitz 9, rue du Cirque 75008 Paris Téléphone 0142 89 40 50
Nathan 16, Villa Condorcet 93 400 Saint-Ouen Tél 01 40 10 06 18
 
Tajan 37, rue des Mathurins 75008 Paris Tél 01 53 30 30 30



Publié par Le Figaro  ( 2000 )


02/10/2009
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