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Les cabinets de curiosités pour grands amateurs ( 2000 )

   Les cabinets de curiosités

 Les mots évoluent avec la société. Le mot bureau désignait à l'origine le grossier drap de laine ( de bure ) que l'on plaçait sur un coffre pour y faire ses comptes. Il nomme aujourd'hui aussi bien le meuble que la pièce dans laquelle celui-ci se trouve. Voire l'entreprise qui l'abrite. Il en va de même pour le mot " cabinet de curiosités ". Depuis le XVI ème siècle, qu'il s'agisse d'une pièce où d'un  meuble, il  définit le microcosme où sont rangées des collections précieuses. Collections  de " naturalia " ou d'" artificialia ", choses de la nature ( fossiles, coquillages, ambre, corail...) ou objets créés par l'homme ( médailles, statuettes, miroirs, flacons...), eux mêmes subdivisés en antiquités et " exotica ", pas besoin de traduire.
     Or ce genre de meuble, si caractéristique et si raffiné, mettant en oeuvre les talents des ébénistes, des lapidaires, des orfèvres, des bronziers, des peintres, des laqueurs...est devenu  lui-même un précieux  objet de collection. Il le fut dès l'origine. Vers la moité du XVI ème siècle. On trouve des exemples fameux dans l'inventaire de Catherine de Médicis en 1589 ou dans l'inventaire des biens de Molière qui, en 1673, décrit "un cabinet d'ébène à deux guichets fermant à clé garni par dedans de douze tiroirs à huit colonnes tournées " Dans une de ses lettres, entre 1622 et 1633 un diplomate et collectionneur de Augsbourg, Plilipp Hainhofer, cité par Jean Gismondi et Isabelle Girard, expliquait que "trente et un maîtres de treize corporations " avaient été chargées d'élaborer le célèbre " Pommerscher Kunstschrank" pour le duc Philippe II de Poméramie. Il ajoutait: " Un cabinet doit être décrit comme la douzième merveille du monde, la onzième étant la flèche de la cathédrale de Strasbourg"... Tous les princes , tous les grands du monde, et pratiquement dans toute l'Europe, en ont voulu, en ont eu, créés pour eux par les ébénistes les plus célébrés: les Italiens:Calceolari, Cospi, Settala, Fogini, Fiamengo,  Moscardo, Zocchi, Cioci, Cucci ou Kircher ou au XIX ème siècle Pogliani..; les Français: Gole, Boulle, Hâche...; les Germaniques, comme le bavarois Angermaïer, Haberstumpf, les Hongrois, notamment à Prague, les Britanniques, les Espagnols, etc.
     Un véritable engouement entoure aujourd'hui ce mobilier dont le nombre restreint accroît la valeur. Sur Internet même, un site consacré aux cabinets de curiosités a été ouvert par un étudiant canadien, Gilles Thibault, qui se prépare à soutenir sa thèse de doctorat sur ce sujet à l'Université McGill de Montréal au Québec.
 
                          Le maître du cabinet de curiosités
 
     Jean Gismondi, grand marchand  d'antiquités est sans doute le  maître contemporain du cabinet de curiosités. On peut chiffrer par centaines les cabinets passés entre ses mains. D'origine italienne ou plus précisément  ligure, il est installé à Paris, rue Royale. Il avait commencé sa carrière dans un cabinet d'architecte. C'est ainsi qu'il fut initié aux mystères des cabinets de curiosités. " Ces meubles, explique-t-il, doivent tout à l'architecture. Resserres à bijoux, à intailles, à médailles...ils sont toujours inspirés par les façades des bâtiments, palais ou édifices religieux. Au XVIIIème siècle, lorsque le prince Borghese décida de construire la Villa qui porte aujourd'hui son nom, il fit appel à un cabinetier, Vasancio , pour la construire. Le cabinet, meuble parure et meuble écrin  forme la synthèse entre l'archirecture, le mobilier et les arts décoratifs "
     En 1966, Jean Gismondi, qui avait ouvert sa première boutique à Antibes sur les remparts tombe  en admiration, à Beaulieu, chez l'antiquaire Masi,  d'un somptueux cabinet dont celui-ci voulait 30 000 francs. Raisonnable si l'on considère qu'à cette époque une belle commode Louis XV se négociait à 100 000 francs. Trop cher en tout cas pour Jean Gismondi qui doi vendre sa 4CV Renault 8 000 francs et rajouter plusieurs milliers de francs d'économie pour acheter quelques mois plus tard un autre cabinet, le premier d'une longue série. Celui-ci vaut aujourd'hui de 40 à 50 fois plus cher. C'est à dire de 500 à 600 000 francs.
     A l'époque, il est vrai, les cabinets n'étaient pas en vogue.  Les antiquaires s' intéressaient peu à ces mobiliers " trop précieux, trop travaillés, finalement trop riches ".  Puis il vint le temps où quelques décorateurs, eurent d'idée d'encourager leurs clients à un certain minimalisme, explique Jean Gismondi: " Dans un intérieur aux murs unis, à côtés de canapés et d'une belle table très modernes un meuble ancien, pas deux, mais exceptionnel. " Ce fut le début de la mode des cabinets qui étaient encore très bon marché. Vu la rareté de ces pièces et leur promotion par la mode,  on peut imaginer que les prix eurent tôt fait de grimper. Ils sont toujours très élevés mais la clientèle suit. Lors de la dernière Biennale des Antiquaires, le succès du stand de Jean Gismondi qui présentait des cabinets réunis dans un décor de boiseries fut immédiat et fantastique. Cette année, au Carrousel du Louvre où se tient la Biennale des Antiquaires millésimée 2000, Jean Gismondi a naturellement sorti ses plus belles pièces.
                              De somptueux résultats
 
       Le marché fait état de somptueux résultats. En 1990 chez Sotheby's à Londres un cabinet en marqueterie attribué à Pierre Gole, vers 1670, aujourd'hui au  Rijksmuseum d'Amsterdam est vendu 657 030 dollars. La même année un cabinet vénitien de 1730 dont les panneaux sont peints de scènes exotiques est vendu 330 165 dollars. Un autre plus tardif, napolitain, en ébène et écaille de tortue, à panneaux peints sous verre trouve preneur à 592 020 dollars.
     Lors de la Tefaf ( foire d'antiquaires ) de Maastricht, en mars, Salomon Stodel d'Amsterdam  montrait un petit Ce cabinet était destiné à contenir des objets de curiosité , en l'occurrence une collection de pierres et de minéraux précieux.cabinet tout en ivoire et pierre dure fait à Augsbourg vers 1620.. L'année précédente à la m^eme foire, un marchand allemand, Otto von Mitzlaff, avait présenté un cabinet anglais beaucoup plus récent ( vers 1848 ) en papier mâché qui avait été offert par le tsar de toutes les Russies, Alexandre II, à son parent allemand, le Grand Duc Louis IV de Hesse-Darmstadt et sa femme la princesse Alice. Les onze panneaux peints représentaient lles personnage de la cour britannique; la reine Victoria et le Prince Albert. Ce cabinet était aménagé pour abriter des bijoux, des pièces de monnaie, des écrits.
     En 1998, à l'hôtel Drouot, Me Kohn avait adjugé 410 200 francs un cabinet florentin du XVII ème siècle en palissandre et bois noirci orné de bronzes dorés à panneaux de marbre foncé incrustés de marbres de couleur formant des motifs de fleurs et d'oiseaux.
     Chez les grands antiquaires spécialisés on peut trouver des cabinets du XVII ème siècle en bois assez simples pour 70 000 à 80 000 francs. Avec des incrustations d'ébène et d'ivoire pour 150 000 ou 170 000 francs. Avec des incrustation d'écaille de tortue et d'ivoire à 300 000 francs. Mais les plus beaux atteignent très vite la barre des 500 000 francs et certains à marqueterie peuvent dépasser les 2 millions de francs.
 
 
 
Publié par Le Figaro  ( 2000 °


02/10/2009
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