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Les Cartes postales : le marché de la mémoire (2002)

Les Cartes postales :  le marché de la mémoire

Finies les folles envolées de la carte postale qui, dans les années 1960-- 1985, donnaient libre cours à des spéculations faramineuses. Pour une mise de 1000 francs, on pouvait aisément, à l'époque, empocher dix ou quinze fois plus. Il suffisait d'acheter et de vendre à bon escient. Le marché s'est calmé et assaini. Mais il s'est aussi installé fermement.  Et si les "coups de bourse" ne sont plus qu'exceptionnels, on peut espérer à bon droit une juste valorisation d'une collection bien menée.

C'est sans doute, d'ailleurs, la passion la mieux partagée des Français et la plus populaire. 400 000 de nos concitoyens, au dire du Quid d'ordinaire bien renseigné, achètent, rassemblent, classent, conservent, échangent, vendent des cartes postales. Ils forment ces bataillons de fouineurs acharnés qui, de dimanche en dimanche, de bouquiniste en brocanteurs ou en marchands spécialisés, partent inlassablement à la recherche de leur drogue favorite. Ils hantent également les ventes aux enchères de plus en plus nombreuses sur tout le territoire que répertorie en une rubrique spécifique La Gazette de l'Hôtel Drouot. Ces amateurs sont aussi nombreux aux Etats-unis (400 000), aussi déterminés en Italie (200 000), en Scandinavie (200 000) et dans le reste de l'Europe tout autant…Ces cartophiles, comme on les nomme scientifiquement, ont de quoi faire. Leur gibier est impressionnant. On estime à plusieurs dizaines de milliards le nombre des cartes postales éditées dans le monde depuis l'origine en 1869.( Voir encadré) Une origine somme toute récente.

Un trésor irremplaçable

Patrice Prins collectionne les cartes postales à titre personnel depuis 1977. Il en fait commerce depuis 1980.   Il s'est d'abord établi au Marché aux timbres, à deux pas de l'Elysée, avec son étal où nombre de ministres lui rendaient visite, à la recherche, comme la plupart des maires de France, de ces images des temps passés. Et avides de perles rares. Il a ouvert voilà peu sa boutique de cartes postales de collection, dans le Passage des Panoramas, au cœur du quartier des Grands Boulevards. C'est précisément là qu'au XIX ème siècle, et même…1799, les parisiens, ou les provinciaux en voyage dans la capitale, venaient admirer d'immenses toiles peintes représentant Paris, Constantinople, Jérusalem…Ruse de l'Histoire, c'est dans ces lieux que se concentrent aujourd'hui les boutiques de cartes postales de collection qui offrent elles aussi de merveilleux voyages dans le temps et dans l'espace.
Chez Patrick Prins, on trouve plus de 200 000 références. Des cartes "historiques" datant de la Guerre de 1870 ; les fameuses cartes de Libonis, les premières illustrées dont la valeur se situe autour de 200 eus ; des cartes de petits métiers extrêmement rares : le rémouleur (autour de 250 euros), le marchand de cartes postales (autour de 50 euros) ; d'illustrateurs de renom comme Mucha ou Jacques Villon (autour de 200 eus ), mais aussi des cartes à vraiment tous les prix. Taxées à 19,6 % de TVA, elles n'ont pas toujours la valeur que l'on pourrait leur prêter : des cartes achetées 10 francs en 1978 valent aujourd'hui 1,5 euro…Une vue des inondations de Paris de 1910 se brade à ce prix. La plupart des cartes se vendent à moins de 8 euros pièce. Quelques-unes entre 30 et 45 euros. Quoi qu'il en soit de l'idée que l'on peut s'en faire, comme dit le marchand :" La valeur, c'est quand c'est vendu…"

            Les visages de nos villages

"On a toujours collectionné les cartes postales, raconte Patrick Prins. On retrouve encore intacts de riches albums à couverture de cuir confectionnés au tout début du XX ème siècle, bourrés de cartes postales bien rangées et que l'on conservait dans les familles. De 1870 à la guerre de 14 la carte postale a été l'œil ouvert sur le monde. Elle a fixé pour l'éternité les métiers disparus, les traditions, les jeux, les fêtes…Elle a fixé aussi le paysage et les visages de nos villages autrefois. Les photographes spécialisés traversaient de long en large le pays et photographiaient les monuments, les magasins, les fermes…Chacun pouvait acheter la carte où il figurait et l'adresser à ses amis et connaissances. Cela a représenté un énorme marché. Bien sûr les régions les plus riches, comme la Beauce, ont été les plus favorisées. Certains villages ont donné naissance à des dizaines de cartes différentes que certains collectionneurs essaient de retrouver. Tout cela constitue un véritable trésor irremplaçable. Il est dommage que de nos jours l'industrialisation ait réduit le nombre des vues commercialisées. Ce serait formidable si les maires des petites communes renouvelaient l'expérience d'il y a un siècle et faisaient prendre des clichés de leurs villages pour garder la trace de notre temps. "
Hélène Gruel, amoureuse des vieux papiers, s'est fait elle aussi une spécialité dans la carte postale. Elle participe activement au Salon du livre et des papiers anciens à l'Espace Champerret à Paris XVII ème (le prochain s'y tiendra du 13 au 16 juin), à Cartexpo à la Mutualité à Paris V ème (les 14 et 15 juin 2002, les 10 et 11 janvier 2003) et aux diverses brocantes de qualité de la région parisienne. Sa clientèle est formée pour le plus gros des amateurs de régionalisme. Des gens plus tout jeunes qui reviennent à leur source, au patelin de leur origine ou de leur enfance. Mais elle voit monter une nouvelle catégorie d'acheteurs autour de la quarantaine qui se sont pris d'intérêt pour les cartes thématiques en relation avec leur métier ou leurs goûts : dentistes, automobiles, bateaux, avions, pompiers… Ou encore plus précises : téléphériques, scaphandriers, cités ouvrières, montreurs d'ours etc. D'autres recherchent les cartes d'illustrateurs : les très célèbres comme Mucha (acheteurs notamment américains ou japonais) ou d'illustrateurs portés à l'avant scène par la mode ou l'effet médiatique comme Germaine Bourret ou Peynet. Plus féminin est le goût de la carte fantaisie, carte brodée ou à dentelle des années 1900… Quant aux prix, ils sont très variés. Au bas de l'échelle : la boîte à chaussure de 1000 cartes pour 15 euros, ce qu'on appelle dans le jargon du métier la " drouille"; un peu au-dessus la carte banale de monument à 1, 5 euro; moins fréquente, la vue de village à 2 ou 3 euros ; une vue assez simple peut  passer à 15 ou 30 euros si elle est animée par un élément comme une voiture, un personnage curieux ou intéressant, ou un train par exemple. Des cartes d'illustrateurs célèbres peuvent monter à 300 ou 400 euros.

Il existait naguère une bible de référence pour les cartes postales :  le Neudin, du nom de son inventeur, un fou de cartes postales qui les référençait et publiait année après année L'Argus international de la Carte Postale (aux éditions de l'Amateur) en gros volumes richement illustrés. Les prix indiqués n'étaient pas toujours les plus fiables en raison de la difficulté d'estimation, mais le Neudin était un monument. Hélas Gérard Neudin est mort et son œuvre inachevée en attendant son hypothétique reprise. Mais un autre cartophile a de son côté suivi le filon. Jean-Claude Carré, installé à Vitry-sur-Seine, édite à compte d'auteur, en quatre volumes, le Guide et argus des cartes postales de collection.  Il les classe village par village et thème par thème.  Les départements de 1 à 24 et 25 à 49 sont déjà parus. Suivront en novembre les départements 50 à 74 et en 2003, 75 à la fin. Le moyen le plus moderne de communication, Internet, est aussi le lieu où les cartophiles aiment se rencontrer. Certains ont ouvert des sites pour exposer leurs trésors. Amateurs de cartes du Sénégal, de l'Albigeois, de cartes "kitsch" ou humoristiques, de cartes de la 1 ère guerre mondiale, de Russie, d'Honfleur, de cartes éditées par Grospiron, ou de cartes montrant un téléphone ou une cabine téléphonique…Français, étrangers, tous se retrouvent et tout se trouve sur le Net.







ENCADRÉ 1


Du siège de Paris à Internet.

C'est le 1er octobre 1869 que la première carte postale officielle créée par Ludovic Zrenner est émise à Vienne en Autriche. Très vite l'Allemagne, la Grande-Bretagne, le Luxembourg, la Belgique, le Canada, les Pays-Bas, la Suisse, la Russie emboîtent le pas.
L'administration postale française admet, elle aussi, la circulation de cartons de correspondance privée sans illustration. La Guerre de 1870 va les voir se multiplier. Des cartes de la Société de secours aux blessés (ancêtre de la Croix-Rouge), des cartes d'ambulance, des cartes par ballon monté ou non monté, des cartes-réponses, circulent. Des "cartes poste" d'un format de 7 X 11 cm sont utilisées durant le siège de Paris et expédiées par ballon.
Mais il faut attendre le 20 décembre 1872 pour que la loi de finances votée à l'Assemblée Nationale mentionne pour la première fois la notion de "carte postale". La mise en vente de la première carte postale officielle a lieu dans la foulée, à partir du 15 janvier 1873. Moins coûteuse que la lettre qui doit être timbrée à 25 centimes, la carte est affranchie à 10 centimes. Ces débuts austères et utilitaires permettent surtout d'alléger les sacs postaux. Deux cartes sont proposées, non illustrées. L'Espagne, le Japon, les Etats-unis adoptent à leur tour la carte postale en 1873, avant la Grande-Bretagne et l'Italie (1874).
Du format 7x11cm, on passe, par convention internationale, au format 9 X 14 cm en 1878. Le verso réservé à la correspondance, le recto à l'adresse. En France, le tarif national d'affranchissement est inchangé. Il sera maintenu jusqu'en 1917.  Il est fixé à 15 centimes pour l'étranger. Le timbre est imprimé sur la carte elle même.
L'illustration apparaît d'abord pour des cartes publicitaires. La première carte illustrée à proprement parler est en France celle de Charles-Léon Libonis qui représente en 1889, lors de l'Exposition universelle, la Tour Eiffel. 300 000 exemplaires de cette carte obtenue en typographie sont tirés. Il en resterait quelque 5 000. L'illustration n'occupe qu'un espace restreint, le reste est utilisé pour la correspondance. L'autre face est réservée à l'affranchissement et aux indications de destinataire.
Les cartes pleinement illustrées au moyen de divers procédés ( typographie, phototypie, photographie, lithographie…),en noir et blanc ou en couleurs, se développent vers la fin du siècle, C''est un arrêté du 18 novembre 1903 qui autorise à inscrire l'adresse du destinataire sur la partie droite et la correspondance à gauche. S'ouvre alors la période bénie de la carte postale et son développement tous azimuts. En 1950, le format normalisé s'agrandit un peu à 15 cm x 10,5. Cent trente ans après la naissance de carte postale sur papier, Internet ouvre la voie à la carte postale virtuelle qui circule à la vitesse de l'éclair. Mais c'est une tout autre histoire…



Encadré II

Le parfum en plus…


Connaissez-vous les olfcartophiles? Ce sont les collectionneurs de cartes parfumées. Produites par les parfumeurs désireux de faire connaître leurs arômes, elles sont apparues au début du XX ème siècle et mènent toujours la belle vie. 25 000 cartes ont été éditées depuis l'origine et ont ouvert la voie à des collections délicieusement odorantes. Auteur de la " Cote générale des cartes parfumées" aux éditions Arfon à Toulouse, Geneviève Font rappelle que " les guerres ont anéanti toute une pléiade de marques : Gellé, Giraud, Delletrez, Mouilleron, Lorenzy, Palanca…Disparues. " On se souvient encore des noms de Piver, Houbigant, Molyneux, Coty.  Patou, Lanvin, Guerlain, Chanel et quelques autres ont pour leur part brillamment survécu. De nouveaux parfumeurs ont repris le flambeau, ainsi Ricci, Rochas, Lancôme…D'autres ont ressurgi comme Madeleine Vionnet, Martial et Armand, Lucien Lelong, Schiapparelli…Mais un parfum c'est d'abord une âme. Les cartes parfumées réveillent toutes les grandes périodes du siècle et en véhiculent les images. Toutes ces cartes ont leur valeur  de 2 euros à 150 euros et plus. Chacune a le pouvoir inouï de transporter dans un univers de rêve et de passions.


Publié par Le Figaro  ( 2002 )


02/10/2009
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