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Les Secrétaires : un style de vie ( 2002 )

Les Secrétaires :  un style de vie  ( 2002 )

Tout au long de notre histoire depuis le XVII ème siècle, le secrétaire demeure le meuble de prédilection de la classes dirigeante, de la noblesse d'abord puis de la bourgeoisie d'affaire qui en fait le symbole de sa propre prospérité et d'un certain style de vie. Table à écrire et meuble de rangement, on rédige sur le pupitre ses lettres enflammées, ses pensées et ses livres ( et même ses livres de comptes ).  Dans le meuble, on range ses dossiers les plus précieux, ses testaments et ses secrets les plus intimes. Et l'on  cache dans des tiroirs ou des loges spécialement discrètes souvent à système et difficiles à dénicher ses bijoux et ses louis d'or. Pas étonnant dès lors que le secrétaire, en bois précieux, marqueterie, bronzes ciselés…, ait été décliné sous mille et un visages dont la diversité étonne et fait aujourd'hui le bonheur des antiquaires, des commissaires-priseurs et au bout du compte des amateurs.
Ainsi, la rubrique secrétaire, le site internet de La Gazette de l'Hôtel Drouot ne décompte pas moins de dix types de secrétaires: à abattant, à écrire debout, à encoignures, à rideau, bibliothèque, d'enfant, de dame, d'angle, de marine, de voyage…Et pour la seule catégorie des secrétaires à abattants ce site référence et montre 873 de ces meubles passés naguère par les enchères.
Le très utile guide Argus-Valentine's du Mobilier français et étranger de 1300 à 1900  déploie de très nombreux modèles allant du secrétaire italien dit "stipo" de la fin du XVI ème siècle , vendu par Me Tajan 28 729 euro le 29/11/1999 à celui de Charles Topino (vers 1780) vendu 73 895 euro à Londres par Sotheby's le 14/6/2000, via  le petit secrétaire de dame de Riesener ( Louis XVI) vendu 59 149 euro par Me de Ricqles le 21/6/1999 à Drouot., ou ce secrétaire à doucine , marqueté de bois de placage sur l'abattant représentant une scène de l'Annonciation vendu 59 994 euro à Drouot par Piasa le 20/12/1999.

Deux corps superposés

 L'une des descriptions les plus efficaces de ce genre de meuble est fournie par le livre collectif " Le mobilier du XVIII ème siècle à l'art déco ", publié récemment par Evergreen et Taschen.  Selon ce gros ouvrage fort bien documenté il s'agit d'un " type de bureau constitué de deux corps superposés, l'inférieur étant muni de portes et le supérieur d'un abattant pour écrire. Parmi les types les plus en vogue à partir du milieu du XVIII ème siècle, existe le secrétaire en armoire (ou secrétaire à abattant ), un meuble haut et étroit destiné à être placé contre un mur, souvent en pendant avec un chiffonnier. La partie supérieure, ouverte, sert de plan pour écrire et cache, à l'intérieur, de petits tiroirs et des compartiments ornés d'éléments architecturaux. Ce modèle sera très apprécié au XIX ème siècle. Vient ensuite le secrétaire à capucin ou à la Bourgogne, un bureau dans lequel un système de leviers et de ressorts permet de soulever un plateau qui, lorsqu'il est fermé, est caché par un second plateau tournant de 180 degrés. Autre modèle, le secrétaire debout ou bureau en pupitre, doté d'un pupitre incliné et d'un corps inférieur à tiroirs, permet à qui écrit de rester debout. Une de ses variantes, complexe, sera appelée à la Tronchin. Enfin, le secrétaire cartonnier possède au dessus du plateau, un troisième corps à coulisse servant de fichier."
En placage de bois de rose, marquetés, parfois laqués et déployant un décor de chinoiseries, souvent ornés de bronzes dorés et ciselés, tels sont les secrétaires Louis XV selon Jean Bedel auteur du Dictionnaire des Antiquités (Larousse). Sous Louis XVI  les meubles sont à pans coupés, en marqueterie ou en acajou, les montants s'arrondissent et sont cannelés, les bronzes sont plus modestes. Sous l'Empire, le placage d'acajou se répand. Le secrétaire s'orne de colonnes ou de semi-colonnes. Il peut être en bois clair marqueté de bois sombre ou vice-versa. Les bronzes deviennent palmettes, rinceaux, guirlandes, lyres…Sous Louis Philippe, le décor se simplifie à l'extrême. Le noyer ou l'acajou sans marqueterie règne. Sous Napoléon III, la forme générale demeure inchangée. Mais le bois est souvent noir incrusté de nacres.
Le secrétaire n'a certes pas cessé de vivre au XIX ème siècle. Le cabinet d'expertise Camard propose souvent aux enchères , en l'Hôtel d'Evreux, place Vendôme, des secrétaires du XX ème siècle. Ainsi est passé sous le marteau de Me Le Mouel en décembre 2001 et adjugé 38 112 euro un secrétaire à abattants gaîné de galuchat de Jacques Adnet ( 1900-1984 ).

Caches secrètes

Maurice Rheims, analyse en 1980 la vente du mobilier d'Eugène Kraemer intervenue en 1913. Ce fut avec celle du mobilier XVIII ème du couturier Jacques Doucet qui se tourna alors résolument vers l'art contemporain, l'une des très grandes dispersions de l'immédiat avant-guerre et, peut-on dire aussi, d'un monde qui finissait. Le grand commissaire-priseur, académicien français et immense connaisseur du marché de l'art relève que dans  cette vente on pouvait trouver trois très beaux secrétaires. Un secrétaire à doucine, c'est à dire à profils adoucis en courbes et contre-courbes, avec marqueterie de fleurs, d'époque Louis XV, est adjugé 6 400 francs ( soit l'équivalent en 2002 de 17 408 euro ), un secrétaire acajou moucheté, par David, d'époque Louis XVI,  qui part pour 25 000 francs ( 68 000 euro ) et un secrétaire, acajou et laqué, d'époque Louis XV, cédé pour 16 000 francs ( 43 520 euro ). Mais comment juger sereinement des valeurs relatives d'une époque à l'autre?  " En 1830, on pouvait s'offrir une superbe table tripode qui avait appartenu à Marie-Antoinette pour 115 livres, écrit Maurice Rheims. De 1860 à 1910, aux meubles originaux du XVIIIème siècle, on préfère souvent des copies exécutées par Dasson, Beurdeley, Linke, et jusqu'en 1900, alors qu'un siège Louis XV valait un louis, une copie interprétée dans le goût 1900 en valait le double et s'écoulait plus facilement."
En 1976, chez Sotheby's un secrétaire à abattant en acajou d'époque Louis XVI, de Riesener est adjugé 21 000 livres ( soit l'équivalent en 2002 de 90 531 euro ).  Toujours chez Sotheby's en 1977-78, un secrétaire à abattant, marqueté, attribué à Van Risenburgh s'adjuge à 105 400 livres, ( 379 687 euro ).
Chez Me Tajan, à Paris, un superbe secrétaire en bois de rose , estampillé de Leleu, orné de 245 pièces de marbres polychromes incrustées dans des médaillons carrés et ovales est adjugé 1 097 630 euro à l'Hôtel George V le 20 juin 2001. C'est un record sur le marché français.
Nombre de secrétaires de toutes catégories abondent chez les marchands et peuvent séduire les événtuels acheteurs. Chez une antiquaire de Cahors, Agnès Dubernet de Garros, à quelques coudées de la Cathédrale Saint-Etienne, se trouve ainsi depuis quelques jours un secrétaire à abattant Restauration en placage de loupe de noyer dissimulant au moins 7 caches secrètes ( hélas vides ). Dessus de marbre blanc. Prix: 3 350 euro. Chez Me Pierre Cornette de Saint-Cyr le 7 juin à Drouot-Richelieu un secrétaire à abattant en acajou et placage d'acajou, d'époque Empire, estampillé Durand, dessus de marbre gris, estimé de 8 à 10 000 euro a été réservé. Un autre, de forme rectangulaire, en placage de bois de rose  dans un entourage d'amarante, dessus de marbre, d'époque Louis XVI estimé de 3 à 5 000 euro était vendu 3 900 euro. Chez Me Aguttes, le 6 juin en l'Hôtel Dassault à Paris  un secrétaire de forme galbée en laque européen à fond de cuir, à décor rouge et or au centre sur une branche feuillagée  d'oiseaux, papillons, insectes ainsi que sur les côtés, meuble d'époque Louis XV, estampillé Pierre Garnier , reçu maître en 1742, , était  estimé de 45 à 60 000 euro .
Tête de bélier

Et l'avenir ? Le 24 juin à Paris, un secrétaire à abattant d'époque Louis XV est mis en vente chez  Christie's à Paris. Il est estampillé Bernard Van Risenburgh, reçu maître en 1735. Description:" En placage de satiné dans des réserves d'amarante, dessus de marbre rouge griotte, de forme galbée, ouvrant à un abattant et deux vantaux, estampillé BVRB et JME sur le montant arrière gauche, les bronzes et l'aménagement intérieur manquants, les entrées de serrure rapportées". Hauteur: 126 cm., largeur: 99 cm., profondeur: 39 cm. Estimation: de 7,500 à 12,000 euro.
Un autre secrétaire à abattant d'époque Louis XVI. Celui-là est estampillé Jean-François Leleu, reçu maître en 1764 est proposé. Description: "En acajou et placage d'acajou, ornementation de bronze ciselé et doré, deux entrées de serrure et ornements des pieds rapportés, dessus de marbre gris veiné blanc, ouvrant par un tiroir, un abattant, l'intérieur garni de cinq casiers, six tiroirs, un secret, et par deux vantaux, les montants à pans coupés cannelés et rudentés, estampillé J.F.Leleu sur chaque montant.". Hauteur: 138,5 cm;, largeur: 88 cm., profondeur: 41 cm. Estimation de 22,000 à 28,000 euro..
 A noter:  un secrétaire à abattant d'époque transition, estampillé Nicolas Petit, reçu maître en 1761. Il est en placage de bois de rose, amarante et filets de bois clair, ornementation de bronze ciselé et doré, dessus de marbre brèche d'Alep réparé, à décor en ailes de papillon dans des réserves, ouvrant par un tiroir en ceinture, un abattant découvrant un intérieur à quatre casiers et six tiroirs, et par deux vantaux en partie basse, reposant sur des pieds cambrés, estampillé deux fois N.PETIT et trois fois JME, avec une marque en creux LB. Hauteur: 146,5 cm Largeur: 95 cm. Profondeur: 39 cm. Estimation de 30,000 à 50,000 euro
Et aussi ce secrétaire en armoire à rideaux d'époque transition estampillé de Jean-François Oeben. Il est en placage d'amarante, bois de rose, bois de violette, sycomore, filets de bois clair et bois teinté, ornementation de bronze ciselé et doré, dessus de marbre brocatelle d'Espagne ceint d'une galerie ajourée, à décor de marqueterie géométrique et de cubes dans des réserves, ouvrant par deux volets à lamelles, l'intérieur muni d'un casier, trois fins tiroirs et un long tiroir formant écritoire, la tablette se dépliant et découvrant un secret, les montants ornés d'une tête de bélier terminé en volute et frise de laurier, soutenu par des pieds galbés à cinq pans, l'arête garnie au sommet d'une feuille d'acanthe et d'une chute de laurier, terminés par des sabots à feuille d'acanthe, estampillé sous la ceinture avant J.F.OEBEN et JME. Hauteur: 105 cm., largeur: 99 cm. , profondeur: 46,5 cm. Estimation: de 110 000 à 150 000 euro..
Une des plus belles pièces de la vacation sera à coup sur ce secrétaire en pente d'époque Louis XV, attribué à Jacques Dubois, passé maître en 1742. Estimé de 330,000 à 350,000 euro, il est en placage de satiné et marqueterie florale toutes faces de bois de bout. Son ornementation en bronze ciselé et doré est marquée au C couronné.  L'abattant est ceint d'une frise rocaille et l'intérieur garni de six tiroirs, deux casiers et un secret; la ceinture   ouvre par deux vantaux dissimulant deux tiroirs à gauche et un coffre à droite. Le meuble repose sur des pieds cambrés surmontés de chutes et terminés par des sabots à motif de fleurs, feuillage et rocaille. Hauteur: 105 cm., largeur: 125 cm., profondeur: 57,5 cm. Il provient de la Collection Philip frère, qui l'avait acquis lors d'une  vente chez Christie's à Londres, le 22 octobre 1953. Revendu à Paris, à l'Hôtel Drouot, le 25 juin 1996, il est passé par la Galerie Segoura. Alexandre Pradère, en fait état dansLes Ebénistes Français de Louis XIV à la Révolution.
Un secrétaire identique, estampillé Jacques Dubois, a figuré au XIXème siècle dans la collection du duc de Buckingham à Stowe avant d'être revendu par Christie's à Londres le 23 juin 1937. Jacques Dubois a utilisé la même forme pour deux autres secrétaires en laque du Japon et en laque de Chine et le décor marqueté est typique de l'oeuvre de Jacques Dubois où les fleurs en bois de bout sont appliquées sur un fond en bois de satiné.
Un  autre secrétaire en placage de satiné, estampille Jacques Dubois, d'époque Louis XV., ( hauteur 135 cm., largeur 97 cm., profondeur 45 cm), est proposé par Piasa  le 26 juin à Drouot-Richelieu. Estimation de 15 à 18 000 euro. On trouvera aussi dans cette vente un secrétaire à doucine en placage de bois de violette marqueté en ailes de papillon, avec l'estampille de Lapie, et un poinçon de Jurande, estimé de 7 500  à 9 000 euro.

Publié par Le Figaro  ( 2002 )


02/10/2009
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