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Plein soleil sur les Arts d'Asie ( 2002 )

Plein soleil sur les Arts d'Asie  ( 2002 )





Paris est en passe de devenir une des hautes références mondiales des arts asiatiques  dont le marché s'épanouissait  jusque-là plutôt du côté de Londres, de Tokyo, de New York ou d'Hongkong où se réalisaient au fil des années de fabuleuses plus-values. Du samedi 21 au mercredi 25 septembre se tient en effet, parallèlement à la Biennale des Antiquaires du Carrousel du Louvre et au Salon des Antiquaires à Auteuil (du 20 au 30 septembre), la première Biennale des Arts Asiatiques, installée au Carré des Sangliers dans le Jardin des Tuileries. La bonne idée des organisateurs, spécialistes reconnus et marchands avisés, Antoine Lebel, Jacques Barrère et Christian Deydier, a été de profiter de la présence à Paris des grands collectionneurs et amateurs d'antiquités pour mettre en valeur leur propre spécialité, l'Asie, auprès des connaisseurs et de sensibiliser les autres à leur univers magique.
Cette innovation est la suite logique et heureuse de la manifestation lancée d'abord à titre expérimental en 1998, et renouvelée depuis, d'un Automne Asiatique à Paris qui amenait quatorze marchands à organiser dans leur magasin des expositions particulièrement soignées.  On se rappelle "les Caravanes de la Soie" chez Christian Deydier, (initiateur alors de l'Automne asiatique), rue du Bac, "les Voies de la Sculpture" chez Jacques Barrère, rue Mazarine ou "les Arts du Feu" chez Bertrand de Lavergne, au Louvre des Antiquaires. Désormais la Biennale alternera avec l'Automne Asiatique dont le rythme sera de ce fait biennal.

                Masque d'or

Les arts asiatiques sont naturellement aussi à l'honneur à la Biennale des Antiquaires. Ce n'est pas un hasard : Christian Deydier, éminent sinologue, mécène, récemment élu président du Syndicat National des Antiquaires est également organisateur de cette Biennale là. Et sur son stand d'Oriental Bronzes, on peut admirer un Masque en or de la dynastie chinoise des Liao (916-1125), haut de 22 cm, un Bodhisattva de calcaire gris noir de la dynastie des Wei du Nord (5ème siècle) haut de 60 cm, et d'autres objets dont la valeur se chiffre en millions de dollars. Vanverden et Vanverden montre un superbe cheval de poterie coloré d'époque Tang (618-907), Gisèle Croes une paire de chiens couchés de même époque, la Zen Gallery, une paire de canards d'époque Han (206-220). À Auteuil, trois stands sont tournés vers l'Asie.

Le goût pour les arts d'Asie a débuté en France voilà plus de deux siècles. Louis XV fut le premier tombé sous le charme. Le Bien Aimé, tout imprégné du style Rocaille qu'il affectionnait, retrouvait sans doute quelque chose de familier dans les formes tourmentées venues du fin fond de l'Asie et liées à l'esprit de ces civilisations millénaires et mystérieuses. Mais il fut loin d'être imité dans cette pulsion de découverte par la noblesse et la bourgeoisie de son temps. C'est au XIX ème siècle en réalité que la mode et l'intérêt se tournèrent vers l'Orient Extrême. L'époque était celle des grandes expéditions et de leur aura poétique et romanesque. Les frères Goncourt par exemple et leur ami Clemenceau, sans parler de nombreux peintres et illustrateurs, s'entichèrent du japonisme. Franz Lehar célébra le Pays du Sourire et le savant Guimet mérita par ses travaux et ses connaissances d'accoler son nom au futur et très riche Musée de la Place d'Iéna à Paris (dont la récente rénovation fait un exemple de réussite et de qualité pour tout ce qui concerne l'Asie).

L'art du Pinceau

Évoquer les arts de l'Asie c'est voyager en pensée à travers un vaste continent foisonnant de diversité.  C'est aller de la Chine à la Corée, de l'Inde au Japon, de la Thaïlande,( l'ancien Siam) au Vietnam, au Cambodge, au Tibet… Mais curieusement, ce réservoir inépuisable de beautés folles ou sages, sobres ou délirantes  n'a, tout au long du XX ème siècle, pas  eu en Occident le succès et la gloire qu'il aurait mérités. Il n'y a séduit qu'une sélection restreinte de fins amateurs  de très haute volée, de collectionneurs  passionnés et très experts.  Il a pu trouver un terrain d'accueil un peu plus favorable auprès des héritiers des voyageurs ou des fonctionnaires de l'époque coloniale lointaine qui avaient rapporté dans leurs malles des porcelaines, des sculptures, des vases cloisonnés, des brocarts, des netsukés et des estampes japonaises.

Mais voilà qu'en ce début de XXI ème siècle, et à dire vrai depuis quelques années, un véritable engouement pour les arts asiatiques s'installe en France. Effet de la multiplication des voyages vers ces destinations lointaines ? Résultat d'un suivi plus affirmé des médias sur ces pays et leurs créations ?  Intérêt spéculatif autour d'objets de plus en plus rares, convoités par les musées, les investisseurs déçus des marchés boursiers ?  Les antiquaires en tout cas constatent plus qu'un frémissement : un attrait certain. C'est d'ailleurs, exemple parmi d'autres, ce qu'a remarqué cet été Pierre Fraissinet, antiquaire et marchand d'art, organisateur à Cahors d'une exposition du peintre décorateur André Maire (1898-1984), voyageur infatigable qui découvrit et croqua Angkor et les temples Khmers en 1919, les Indes en 1938, Ceylan en 1939 et rapporta de là-bas des images puissantes et évocatrices. C'est ce qui explique aussi la prochaine parution chez Gallimard du recueil de photographies " Du Cachemire à Kaboul", prises entre 1860 et 1880 dans l'Empire des Indes par deux Irlandais Burke et Baker et rassemblées par Omar Khan. Ou chez Flammarion de cette avalanche de Beaux Livres programmée d'ici à Noël : sur le Vietnam (de Larry Burrows), sur l'Asie Sacrée (de Mickael Freeman et Alistair Shearer), sur les Parfums de l'Inde (de Patrick Guedj et Véronique Durruty), sur les Estampes japonaises (de Roni Neuer) ou l'Art de vivre au Japon (de Suzanne Slesing, Stafford Cliff, Daniel Rozenstoroch et Gilles de Chabaneix ou sur l'Art du Pinceau : Sumi-e (de Shingo Syoko.). Ou l'exposition prévue pour tout le mois d'octobre à la Réserve Henry Bussière, rue Michel le Comte à Paris des Trésors du Laos, tissus de cérémonie en soie tissée d'aujourd'hui. Ou tout simplement les six ventes d'art asiatique annoncées  pour les prochains jours par la Gazette de l'Hôtel Drouot.

                Dragons à cinq griffes

Le marché des œuvres d'art est au diapason et réagit fort bien aux offres des commissaires-priseurs.  Le 23 septembre 2001 à Drouot-Richelieu les études Poulain, le Fur et de Ricqlès (experts Thierry Portier et Françoise Leroy-Laveissière) dispersaient lors d'une vente d'arts d'Asie de très beaux objets.  Ainsi des rouleaux portatifs représentant sous le pinceau du peintre Yu Xang, le voyage dans le Sud de l'Empereur Qianiong (XVII ème siècle). Sur une estimation de 1 à 1,2 millions de francs (152 449 à 182 938 euros ) le premier a atteint 10 millions de francs (1 524 490 euros ), Le second estimé de 500 à 600 000 francs (76 224 à 91 469 euros )  a été adjugé 6 millions de francs (914 694 euros). Une encre sur papier de 70,5 cm sur 276 cm, figurant l'Empereur Dao Guang (début du XIX ème siècle) s'essayant au tir à l'arc, agrémentée de deux poèmes calligraphiés composés par le jeune empereur, était adjugée 900 000 francs (137 204 eus) pour une estimation de 200 à 300 000 francs (30 489 à 45 735 eus ).

Le 9 novembre 2001 l'étude Piasa vendait à Drouot-Richelieu pour 480 000 francs ( 73 175 euros ) un porte-pinceau chinois du XVIII ème siècle haut de 39 cm, en zitan, un bois exotique, de provenance impériale.  Marqué par la présence de dragons à cinq griffes, l'estimation initiale de l'objet n'était que de 50 à 60 000 francs (7 622 à 9147 eus ). Le 12 Décembre 2001 Me Boisgirard, à Drouot Richelieu, adjugeait 31 000 francs (4726 eus) un ibis japonais en argent sur socle d'ardoise ; 10 900 francs (1667 euros) un groupe en jade céladon chinois de la période Qing, représentant un enfant tenant un sceptre accompagné d'un bouc, et 8 500 francs (1296 euros) une tête de Bouddha en schiste gris bleuté, travail gréco-bouddhique  du Gandhara des IIIe-IVe siècles après J.-C.

Lors de sa vente du 15 Mai 2002, à Drouot Richelieu, Me Pierre Cornette de Saint-Cyr obtenait 4 600 euros, pour un bouddha en bronze doré (H. 34), du XVIe siècle, en provenance de Thaïlande ou du Laos. Bouddha y est représenté assis sur un socle en forme de lotus dans la position traditionnelle où il prend la terre à témoin de son illumination. Chez Me Tajan, le 26 juin à Drouot-Richelieu, un  plat chinois de 47 cm de diamètre, d'époque Kangxi (1662-1722) en porcelaine blanche décorée en bleu, émaux vert et or, obtenait 16 000 euros. Le centre est orné des armoiries de la province batave de Groeningen, entourées de feuillages parsemés d'oiseaux et de fleurs. Une paire de flacons quadrangulaires de 26 cm de haut, à couvercles en bois, d'époque Yongzheng (1723-1735), en porcelaine blanche décorée de fleurs et d'émaux polychromes était adjugée 3 500 euros pour une estimation de moitié. Une paire de phénix posés sur des rochers en porcelaine émaillée polychrome hauts de 61,5 cm d'époque Qianlong (1736-1795) partait pour 15 000 euros.

Une boîte ronde d'époque Ming, en laque noire et couches de laque rouge, sculptée d'un motif de pommeau d'épée (diam : 19,5 cm ) partait pour 35 000 euros. Un brûle-parfum en cuivre et émaux cloisonnés de la deuxième moitié du Xve, siècle, décoration en polychromie sur fond bleu de lotus bouddhiques et de feuillages, se vendait 4 000 euros. Ses trois pieds sont en forme de tête d'éléphant et ses anses en cuivre doré en forme de dragon. En bronze laqué or du XVIe siècle haute de 46 cm une statuette chinoise de la divinité Guanyin représentée debout sur un lotus tenant un enfant, sa coiffe ornée de diadèmes avec l'image de bouddha, obtenait 4 500 euros. Citons encore les 178 500 dollars obtenus en septembre 1999 chez Christie's pour une bouteille japonaise en forme de poire de l'époque Edo (1660-1670).

                Rayonnement international

Fort attendue des passionnés et des curieux la Biennale des Arts Asiatiques réunit cette année 21 antiquaires spécialisés, venus de France bien sûr, mais aussi de Bruxelles, Londres, Lisbonne, New York, Tokyo, Amsterdam, Bernsheim en Allemagne… Ce qui démontre son importance et son rayonnement internationaux. Chacun a apporté ses plus belles pièces et les plus enviables. Chez Jacques Barrère, des sculptures sacrées : une tête de Luhoan, visage de jeune moine, en grès beige avec des traces de polychromie de la fin de la dynastie Tang (618-907) ; une tête de Bouddha en marbre blanc de la dynastie Sui (581-618) ; un bodhisattva en bronze de la dynastie Song (960-1279) ; ou une Guanyin sur un éléphant, de la dynastie Ming (XVème-XVI ème siècles). Chez Antoine Lebel, spécialiste des porcelaines des Compagnies des Indes, une soupière en porcelaine de Chine d'époque Qianlong, XVIII ème siècle aux armes du gouverneur de ce qui deviendra l'île Maurice. Chez Christian Deydier,( Oriental Bronze), dans une fourchette de prix variant de 3 000 à 200 000 euros, une multitude d'objets chinois, du néolithique -un vase en terre cuite en forme d'oiseau- jusqu'aux dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911).

La diversité est un des charmes de cette Biennale des Arts Asiatiques où figurent à proximité d'une estampe de la Femme Héron par Kitano Tsunetomi, artiste japonais du début du XXème  siècle (chez Tanakaya), une assiette chinoise en porcelaine du XVIII ème siècle décorée des paroles d'une chanson française de l'époque,( chez Vincent L'Herrou-Théorème) ; une console en laque écaille de tortue de Chine du début du XVIII ème siècle (Chez Sylvie et Bernard Captier) ; une paire de vaches en porcelaine du Japon décorée en bleu du début du XVIII ème siècle (Chez Bertrand de Lavergne) ; un marchand Hong assis sur un fauteuil laqué du début du XIX ème siècle (chez Valérie Levesque) ; une paire de lanternes en bronze doré d'époque Qianglong (1736-1795) ornées d'un décor ajouré en jade blanc ciselé (à la Compagnie de la Chine et des Indes).


Publié par Le Figaro ( 2002 )


02/10/2009
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