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Solide et pas cher: l'Empire tient bon ( 2003 )

Solide et pas cher: l'Empire tient bon

Il y a foule ces temps-ci pour veiller au salut de l'Empire. Télévision, théâtre, cinéma, voilà quelques semaines, l'Empereur des Français a pris des visages et des accents différents pour attirer le public. Napoléon sur France 2, avec Christian Clavier dans le rôle de l'Empereur, d'après le livre de Max Gallo; C'était Bonaparte, spectacle de Robert Hossein, écrit par Alain Decaux avec Me Paul Lombard ; et puis Monsieur N. d'Antoine de Caunes. C'est dire l'actualité du personnage et de son époque. Plus curieux encore, les costumes, bijoux et mobiliers utilisés lors du tournage de la série télévisée ou pendant le spectacle du Palais des sports ont été vendus aux enchères le 9 mars à Fontainebleau par Me Osenat assisté d'un expert consultant Jean-Claude Dey. Bien entendu, aucun des mobiliers n'était d'époque, seulement de style, mais conçus et réalisés par des ébénistes d'aujourd'hui, fidèles aux modèles. Il n'empêche, ils se sont incroyablement bien vendus.
Les meubles construits pour la télévision étaient de qualité parfaite. Le lit de Napoléon en bois façon acajou avec motifs dorés, est parti pour16 000 euros sur une estimation de 2 000 euros. Le lit à rouleau de Joséphine et son ciel en bois façon acajou avec la literie, estimé1 000 euros, a obtenu 10 500 euros. Le bureau de l'Empereur façon acajou, sur pieds lions, a atteint 4 500 eus ; deux lits de campagne pliants en fer forgé, ont été adjugés  2 600 euros sur une estimation de 500 euros. Côté théâtre, pour des meubles moins raffinés, les résultats ont encore été bons.  Deux consoles de style Empire Retour d'Egypte se sont vendues 1 400 euros (estimation: 400 euros) et un bureau de style Empire estimé 800 euros a été adjugé 1500 euros. L'effet médiatique a sans doute joué comme le plaisir pour les acheteurs de savoir qu'ils ont acquis le meuble que tous les téléspectateurs avaient pu contempler sur leur petit écran, ou le public du théâtre sur la scène…
            
Du meuble de notaire
      
"Solide : de l'acajou pour 80 pour cent;  assez simple : peu de sculptures ; créé en ensembles et facilement casable, passe-partout et pas cher, le meuble Empire est par prédilection le meuble de la classe bourgeoise C'est un meuble d'usage plus que de décor. Les bibliothèques en particulier sont particulièrement demandées." comme le dit Guillaume Dillée, 37 ans, expert à la troisième génération. C'est ce que l'on appelle aussi des "meubles de notaire". Des meubles sur lesquels il n'y a guère de mouvement spéculatifs ni de grandes surprises. Il n'est pour s'en convaincre que de suivre les ventes annoncées et les résultats affichés au fil des semaines scrupuleusement par La Gazette de l'Hôtel Drouot. Ou les répertoires documentés de l'Argus Valentine's. On ne vole pas dans les cintres même pour des mobiliers extrêmement agréables à voir et en bon état. Récemment un canapé et deux fauteuils acajou ont atteint 15 000 eus ; 22 fauteuils estimés entre 2 300 et 2 500 euros ont été ravalés ; une banquette ( chez Me Boisgirard, à Drouot, le 29 novembre 2002) a fait 3 900 euros.
Lors d'une vente d'objets d'art et d'ameublement, organisée par Piasa à Drouot-Richelieu, le 28 mars,( expert: Guillaume Dillée) une console rectangulaire formant desserte, en placage d'acajou, plateau à doucine reposant sur des cariatides de femmes drapées en gaine, plateau de marbre blanc veiné, s'est vendue 4 200 euros. Une autre console rectangulaire en placage d'acajou flammé, marqué de feuilles, plateau rectangulaire à légère doucine reposant sur une double colonne  à chapiteau et bague de bronze doré à décor de palmettes et de fleurs, les montant arrière plats présentant un miroir, a atteint 7 100 euros, soit au-dessus de l'estimation de 4 800 à5 200 euros. Une commode en placage d'acajou ouvrant par trois tiroirs, les montants figurant des figures féminines se terminant par des pieds à griffe, ornementation de bronze ciselé, dessus de marbre gris fracturé, fentes et marques au placage, estimée 1 500 à 1 800 euros, a obtenu 1 650 euros. Quatre chaises à dossier barrettes sculptées de couronnes et de rosaces, en acajou et placage d'acajou, pieds gaines à griffe à l'avant et gaines arqués à l'arrière, sont parties pour 1 300 euros. Un somno, petite table de nuit en forme de vase à l'antique, 82 cm de haut, 41 cm de diamètre, la doucine à pans coupés ainsi que le piédouche, s'ouvrant par une porte, base pleine, plateau-cuvette de granite noir n'a été adjugée que 2 500 euros soit très peu au-dessus de l'estimation haute de 2 200 euros.
Enfin un beau lit bateau en acajou et placage d'acajou, la façade ornée d'une plaque de bronze finement ciselé et dorée représentant le char de Diane, montants à doubles colonnes à bagues ornées de feuilles de lotus, casques, palmettes et char d'Apollon, estimé de 2 300 à 3 000 euros n'a atteint que 2 800 euros. Une somme très moyenne pour une pièce d'autant plus intéressante que suivant une tradition de la famille du vendeur, ce lit acheté à Rome en 1840 par Monseigneur Trioche, Archevêque in partibus de Babylone, aurait été celui de Letizia Bonaparte. Ce qui correspond d'ailleurs au descriptif de l'inventaire après décès du mobilier de cette altesse, mère de l'Empereur : " Un lit en acajou massif et recouvert en quelques parties d'une marque à la française avec quatre colonnes au-devant avec chapiteaux, bases et riches ornements de métal ciselé et doré à l'or fin."
Louis XVI : 10/  Napoléon : 2

Mmes Aguttes et Boisgirard présentaient le 7 mars à Drouot-Richelieu une console rectangulaire formant desserte, en acajou et placage d'acajou, ouvrant par un large tiroir. Haute de 88 cm, large de 131 cm, ses montants en console ajourée sont réunis par une entretoise en arbalète. Les pieds cambrés sont à feuillage et griffes, les ornements en bronze. Adjugée 2 300 euros. Lors de la même vente, une bergère à dossier gondole, en acajou massif et placage d'acajou, dossier-corbeille à décor de tête de bélier sculpté, assis e en écusson, pieds en jarret ou sabre, ornements de bronze doré à palmettes, a obtenu 1 800 euros.
Reste que comme toujours les pièces exceptionnelles et décoratives sont très recherchées. Ainsi le siège curule de la vente par Me Joron-Derem le 28 février 2003, attribué à Jacob, a été vendu 17 000 euros, sur une estimation de 10 à 15 000. Une commode attribuée à Jacob-Desmalter a été vendue 30 395 euros par Me Tajan le 3 avril 2001
Une petite table, athénienne, attribuée à Jacob frères, en placage de loupe d'orme, bronze ciselé patiné et doré, dessus de marbre vert et blanc. Le centre du plateau est muni d'un rafraîchissoir en métal plaqué ceint d'une galerie à motif de feuilles de lotus, couvercle ajouré. La ceinture, qui s'ouvre sur trois tiroirs pivotant au moyen d'un mécanisme, est soutenue par trois pieds fuselés surmontés d'une tête de sirène ailée et terminés en griffe reposant sur une base triangulaire. Vendue par Christie's à Paris, le 24 juin 2002, cette table rare a obtenu160 750 euros.
    Pour autant, pour le marché de très haut niveau et des pièces de très belle qualité, l'Empire n'est pas le style le plus couru. Les Français y sont notablement moins nombreux que les Américains. " Pour 10 meubles vendus d'époque Louis XVI, je ne vends que 2 meubles d'époque Empire" assure Jean-Christophe Chataigner, responsable du département Empire à l'étude Osenat à Fontainebeau. Les mobiliers Empire "pur sucre" ne sont pas non plus les plus répandus. Le règne de l'Empereur a été court. Dix ans seulement , à comparer avec les 72 ans du règne de Louis XIV, les 59 ans du règne de Louis XV et les  18 ans du règne de Louis XVI.. Mais le style Empire, très affirmé, très structuré, très " marketing", s'est imposé dans toute l'Europe. Aussi bien dans les pays soumis aux lois de l'Empire, ( Italie, Espagne, Autriche, Prusse )  que dans la Russie tsariste et chez l'ennemi forcené, l' Angleterre.




Encadré: Une stratégie et un nouveau langage

Rarement en France le pouvoir politique aura pesé d'une telle influence sur le mobilier privé. Sous Napoléon Ier c'est toute une idéologie  qui, prônant le retour à l'Antique,  tient la main de l'ébéniste et du décorateur.  Elle est édictée par une sorte d'état-major des arts constitué de quelques proches de l'Empereur. Le premier est le peintre du Sacre, Louis David (1748-1825) qui écrit :" Nous cherchons à imiter les anciens dans les arts, etc. Ne pourrions-nous pas faire un pas de plus et les imiter aussi dans leurs mœurs et les institutions qui s'étaient établies chez eux pour porter les arts à la perfection? ". A ses côtés, Charles Percier (1764-1838) et Pierre-François-Léonard Fontaine,(1762-1853),  architectes favoris de Napoléon Ier et d'ailleurs créateurs de l'Arc de triomphe du Carrousel, assurent: "Il faut épurer le goût avec des monuments dignes de l'ancienne Rome, élevés dans le sein de la capitale". Leur "Recueil de décorations  intérieures pour tout  ce qui concerne l'ameublement",  rassemblé en 1812, donne le la. Le grand maître d'œuvre est l'ébéniste Jacob Desmalter (1770-1841) qui travaille en parfaite harmonie avec les ciseleurs Pierre-Philippe Thomire (1751-1843) et Jean-Baptiste-Claude  Odiot (1763-1850). Tant et si bien que le mobilier et les œuvres d'art du XVIIIème siècle étaient alors honnis par les thuriféraires du nouveau régime
Le mobilier Empire est plutôt carré et massif. " Il affectionne les surfaces lisses et nues. Ses courbes, comme ses silhouettes, sont très peu mouvementées. Son pittoresque est bourgeois malgré ses grands airs; il est compassé et cossu, triste et sévère, mais il est quelqu'un." résumait à sa façon voilà près d'un siècle le grand spécialiste de meubles anciens Emile Bayard. Acajou plaqué égayé de bronzes ciselés et dorés, racine d'orme, érable, palissandre et citronnier sont les essences  préférées.

            L'aigle impériale

Quant aux motifs d'ornementation, ils déclinent une nouvelle rhétorique. qui se substitue à celle qui est en cours depuis la Révolution où l'on voyait se côtoyer faisceaux consulaires, mains fraternelles, niveaux égalitaires, bonnets phrygiens, cocardes, piques, charrues, compas, canon, chêne…Désormais, avec l'Empereur, l'épopée et de puissantes figures et allégories symboliques prennent le pas. La Force, les Renommées, les Victoires, les Grâces, les Muses triomphent au sein d'un univers de lyres, caducées, bucranes, rinceaux, sphinx, cygnes, oiseaux, torches, carquois, arcs, flèches, chimères, chars, couronnes de laurier, palmettes, feuilles de fougère, couronnes de roses, guirlandes, casques, piques, griffons, sirènes, cornes d'abondance. Ne manquent pas non plus les foudres sous l'aigle impériale, les abeilles, les glaives, les lions….
Les formes des meubles s'inspirent de l'architecture. Commodes, secrétaires, consoles présentent des formes géométriques et austères dont la sobriété est allégée par des sculptures en bois ou en bronze. Lits en bateau, à pupitre avec deux dossiers droits, à impériale avec estrade, colonnettes et baldaquin ; consoles à pieds antérieurs à motifs zoomorphes ; commodes avec frises. "Aux meubles traditionnels s'ajoutent des meubles mouvants comme la psyché, grand miroir pivotant qui existait déjà sous le Directoire et le Consulat, le somno, table de nuit de forme cylindrique, en tronc de pyramide ou en parallélépipède allongé " explique Adriana Boidi Sassone,( Le mobilier du XVIII ème siècle à l'Art Déco publié par Taschen-Evergreen). À quoi il faut ajouter l'otio, sorte de chaise longue, ou le lavabo dont la terminologie vient tout droit du vocabulaire romain.

Publié par Le Figaro  ( 2003 )




02/10/2009
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