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Art et Pouvoir


Art et pouvoir :  The Pow'Art

    Gilbert et George sont les deux plasticiens sans doute les plus présents  médiatiquement dans le monde de l'art. Ils figurent aussi parmi les mieux cotés sur les deux rives de l'Atlantique. Comme je les questionne  un soir d'inauguration de la FIAC sur le pouvoir de l'artiste aujourd'hui, ces deux Britanniques au look passe muraille, mais au chic très british, me répondent  en choeur et presque étonnés de l'interrogation: " Mais l'artiste n'a pas de pouvoir ! Nous n'avons aucun pouvoir..." Conduits à préciser leur propos si modeste il ressort aussitôt de leur réponse que l'art, en revanche,  règne en maître sur la société. "Une société forme son opinion à travers la culture de son temps. L'art transforme la moralité, impose sa vision sur ce qui est bien et ce qui est mal. S'il ne montre pas la vie telle qu'elle est, il modèle le futur. Et l'artiste, qui est le médiateur, prend ses responsabilités et souffre pour ce qu'il fait" m'assurent-ils.

    Leur pouvoir, à la FIAC, ce soir-là, est évident. Ils font événement. Gilbert et George ont réalisé pour l'occasion les 7 immenses panneaux " Zigzag" qui tapissent du haut en bas les cimaises du stand de la galerie de Thaddaeus Ropac. La troupe la plus huppée des collectionneurs de haute volée se presse auprès d'eux, les caméras de télévision enregistrent la scène. Ne parlons pas des chèques qui ici ou là attestent (ou attesteront) de l'intérêt qui leur est porté.

                          "Tu réinventeras la vie"

    Ils ne s'y trompent d'ailleurs pas vraiment. Sur leur site Internet, les deux artistes conjointement expliquent : "Si nous créons des images c'est pour changer les gens et non pas pour les féliciter d'être ce qu'ils sont. Nous voulons obtenir la forme moderne la plus accessible pour créer les images visuellement les plus parlantes de notre temps." Et si besoin était de se convaincre de leur ambition extrême, il suffit de se reporter à la table de leur Loi, à leurs « 10 commandements », dont le quatrième affirme : " Tu réinventeras la vie".  La référence, tout comme le texte, sont assez clairs. Ils ont beau le nier, ces artistes, les artistes  croient en leur pouvoir. C'est bien le moins qu'on puisse d'ailleurs exiger de ceux qui veulent être nos phares.

    Est-ce un hasard? L'artiste de tout temps a voulu embrasser le monde et le tenir en son pouvoir. C'était déjà vrai dans les grottes d'Altamira, de Lascaux et de Pech-Merle où l'artiste chaman utilisait son savoir pour envoûter ses proies, c'était vrai des constructeurs des Pyramides et des peintres des tombeaux des pharaons et ce fut le cas aussi de l'art religieux, le seul à s'exprimer tout au long des siècles de domination judéo-chrétienne.  L'art contemporain renoue avec les origines. Il ne copie pas la réalité. Il la réinvente. Il détruit la réalité pour reconstruire le réel. Cela a commencé au début du siècle avec les abstraits Kandinsky et Malevitch d'un côté, les cubistes Braque et Picasso de l'autre. ? 20 ans, en 1948, Yves Klein avec ses deux amis, le poète Claude Pascal et le sculpteur Arman, étendus sur une plage de Nice, rêvent comme on le fait à cet âge et se partagent l'univers. Comme le raconte Annette Kahn dans la biographie de l'artiste publiée zn 2000 chez Stock ", Yves Klein, le maître du Bleu", ce dernier  laissant aux deux autres le végétal et l'animal, s'octroie alors le minéral c'est-à-dire l'espace. " Je signe mon nom au dos du ciel, dit-il. Je passe de l'autre côté du ciel". Bleu déjà, pour toujours. C'était un manifeste. Comme avait été révolutionnaire l'acte de Marcel Duchamp signant et présentant comme oeuvre d'art un urinoir pour signifier ainsi sa toute puissance d'artiste qui peut dire à l'égal de Dieu "Nomino, ergo sum, je nomme donc je suis".

                               Pas d'art sans marché

    Andy Warhol écrira son oeuvre en s'accaparant pour les mettre à sa pâte et sous sa patte les visuels marquants et les représentations les plus présentes de la vie quotidienne.  Celles de la société de consommation ( la boîte de soupe Campbell, les cartons Brillo, les bouteilles de Coca-Cola...), les étoiles de son époque ( Popeye, Marilyn Monroe, Elvis Presley, Liz Taylor, Jackie Kennedy...) et les icônes de tous les temps ( le dollar, la Cène de Vinci, la faucille et le marteau, Freud, Einstein, Mao...) Comment être plus puissant qu'en donnant à voir le monde au monde sous son propre prisme? Warhol y a réussi. Ses images s'imposent à nous.
    Aujourd'hui à l'aube du IIIème millénaire le marché constitue la scène internationale de l'art. Car il n'y a pas d'art sans marché, c'est-à-dire sans reconnaissance publique, même si celle-ci peut Étre tardive, voire posthume. Y comptent les galeries, les institutions, les musées, les critiques et surtout les collectionneurs, obligés comme chez le psychanalyste à payer pour avoir. C'est là que les tensions se créent et l'engouement.

                            Maître du presque rien
                
    Le jeu est assez clair. Émergent ceux qui se sont rendus les parfaits maîtres de leur univers. Qui ont pris totalement le pouvoir sur leur propre création. Des noms ? Jeff Koons par exemple. Il recrée des objets fétiches ç partir de nos fantasmes et de notre environnement quotidien. Sa "Pink panther" très kitsch a obtenu 1, 8 millions de dollars chez Christie's et sa "Femme dans la baignoire" d'où surgit un tuba, 1,7 million de dollars. Cy Twombly,  peintre et sculpteur est le maître du presque rien. Il joue de ce pouvoir dans la subtilité des sentiments, dans l'évocation à peine effleurée. Son  exposition chez Larry Gagosian, Madison Avenue ê New York, attendue par les plus fervents de ses admirateurs (la famille de Menil a construit pour lui un musée) a fait bouger le tout Manhattan. Richard Gober et Maurizio Cattelan à l'humour féroce et ravageur ont surgi depuis peu dans le palmarès. L'autruche empaillée de ce dernier, la tête perçant le parquet, a fait fureur lors de la vente de novembre chez Christie's ê New York (270 000 dollars) et ses 50 masques en latex peint, "Spermini", 159 750 dollars chez Sotheby's la même semaine. Charles Ray avec son Male Mannequin, une sorte de poupée Barbie masculine doté du moulage des organes sexuels de l'artiste atteignait pour sa part le record de 2,2 millions de dollars chez Christie's. La sexualité la plus explicite a pris le flambeau lê aussi avec ses thuriféraires comme Jeff Koons, qui fut l'époux de la Cicciolina. Le tableau figurant une de leurs étreintes " Red butt "a choqué à New York mais s'est bien vendu (369 000 dollars), La contestation du mode de vie, des modèles établis, des moyens de production, de sources d'Änergie habituelles, et même des institutions industrielles et financières est un courant qui se porte fort bien. Ce sont les cousins artistes de José Bové et Ralf Nader...  Par exemple : Tom Sachs, un jeune Américain exposé à Paris chez Thaddaeus Ropac, a fait parler de lui en exposant des mitraillettes et en passant, ê cause de cela, plusieurs heures au poste de police le soir de son vernissage. Et aussi : Malachi Farrel, un jeune Irlandais, qui présente chez Renos Xippas à Paris des machines et des objets articulés par des circuits électroniques pour raconter des fables modernes ê forte charge émotionnelle sur les thèmes de la peine de mort ou de la pollution des océans.   Figurent aussi dans le peloton de tête les Allemands Sigmar Polke et a.r.Penck. Ce dernier dans sa dernière exposition ê Paris galerie Jérôme de Noirmont, est revenu sur ses méthodes de peinture qui avaient conduit ê une radicalisation ce peintre venu de l'Est qui avait changé son nom (Ralf Winkler) pour prendre d'abord celui de Mike Hammer, le policier des séries noires des années 50, puis celui de Theodor Marx, avant de signer Y, puis a.r. Penck. Penck étant le nom d'un paléontologue des époques glaciaires. Donc des origines. Penck par sa radicalité s'est adjugé le pouvoir.  Citons enfin, mais on pourrait poursuivre la liste indéfiniment, un peintre comme Robert Ryman qui réussit le miracle de rendre nécessaire des tableaux peints uniquement de peinture blanche ou le peintre chinois Yan Pei-Ming (fort en cote) qui reprend avec les mouvements et les empâtements de son pinceau l'image du pouvoir personnifié (le président Mao au balcon) pour la traiter avec son style et lui apporter ses correctifs idéologiques.

                          La photo en terrain neuf

    Le pouvoir, c'est aussi celui que se donne l'artiste qui joue ( mais au-delà du sérieux et parfois dans le tragique) avec son propre corps comme naguère Gina Pani et Michel Journiac. Aujourd'hui, Orlan, dont les photos étaient exposées ê la Fiac à l'espace Yvonamour Palix, a entrepris sur elle même un patient travail de remodelage. " J'ai donné mon corps à l'art, écrit-elle, en retour l'art lui permet de se reconstruire." Prothèses, chirurgie, transplantations... elle manipule son corps pour lui imprimer la forme qu'elle souhaite. Allant bien plus loin que ces body-buildeuses pourtant impressionnantes que le photographe Andréas Serano a immortalisées et dont les tirages étaient présentés par la galerie Paula Cooper ê Paris Photo, au Carrousel du Louvre.
    Cette manifestation par l'intérêt qu'elle a suscité, le nombre de ses visiteurs et des acheteurs souvent nouveaux venus, a mis en évidence un nouveau pouvoir, celui de la photographie. Pouvoir d'évocation dans la restitution du passé, comme l'image par Atget du confessionnal de l'Äglise Saint-Germain-des-Près voilà plus de cent ans, présentée par la galerie A l'image du grenier sur l'eau. Pouvoir d'incitation à la méditation comme y invite les photos de Bernard Faucon, présentées par la galerie Vu. Pouvoir de dérision et de provocation comme celles de Yuki Kimura, présentées par la galerie Taka Ishii de Tokyo. Le marché, là aussi faisant loi de jeunes artistes flambent sur un terrain tout neuf avec des enchères superbes : Thomas Struth 270 000 dollars chez Christie's pour une photo du Panthéon de Rome et de même, chez Sotheby's, pour une autre photo du Panthéon ; Richard Prince la même somme chez Sotheby's pour une photo de Cow-Boy et Cindy Sherman au même tarif ( Sotheby's) pour un autoportrait en personnage de la Renaissance. D'autres noms surgissent Richard Prince, Andréas Gursky, Pierre et Gilles, Matthew Barney, Thomas Ruff, Nan Goldin, Louise Lawler, Shirin Neshrat... C'est leur oeil qui par la grâce de la photographie devient le nôtre. Une démultiplication miraculeuse et presque infinie.
    

( Publié dans NTB Report )
    



01/10/2009
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