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Autographes et manuscrits : des cadeaux signés ( 2004 )

Autographes et manuscrits : des cadeaux signés
    
    Les autographes et les manuscrits peuvent atteindre des prix extrêmes lorsqu'il s'agit de pièces d'exception. Mais pour la grande masse des petits papiers d'hommes et de femmes illustres, ce marché de la nostalgie à l'état pur demeure  accessible. Il ne connaît guère de poussée spéculative qu'autour de sujets très médiatisés. C'est d'abord une affaire de goût et de passion. Si ce n'est, en rien, un placement mirifique, on ne risque en tout cas pas de perdre sa mise. Et en plus, on se fait plaisir à tous coups. C'est pourquoi, en période de cadeaux et de fêtes, beaucoup de ces petits fragments de l'Histoire sont offerts comme présents à des proches ou à des relations d'affaire. Les plus recherchés sont les musiciens, les poètes, les écrivains, les sportifs, les artistes ou les personnages historiques…

 
« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français que j'ai tant aimé ». Chacun connaît cette phrase du testament que Napoléon Ier écrivit de sa main le 15 avril 1821, à Longwood, Sainte-Hélène, à quelques jours de sa mort. Mais avant de la coucher sur le papier, il avait, la veille, dicté ses dernières volontés à son secrétaire, Charles Tristan, comte de Montholon. Ce brouillon de 12 pages, présenté par l'expert Thierry Bodin, était mis en vente chez PIASA, avec l'étude Renaud, Giquello et associés, le 7 décembre à Drouot. Estimé de 60 à 80 000 euro, il a été acheté pour 132 179 euro. A cette vente était aussi proposée une carte postale du château de Fontainebleau agrémenté du dessin d'un fumeur de cigare, envoyée sous enveloppe le 1er janvier 1915  par Picasso. Le destinataire, 2ème canonnier conducteur au 38 ème régiment de campagne à Nîmes, n'était autre que Guillaume Apollinaire, caricaturé par son ami. Sur une estimation de 5 à 6 000 euro, elle a été vendue 17 448 euro. Une lettre de 7 pages, écrite en janvier 1943 depuis Anfa (Maroc) par le  général de Gaulle au commandant Loÿs Tochon, a été vendue 51 743 euro. Dans cette lettre, désignée parfois comme le Testament d'Anfa, le chef de la France libre  s'élève contre le projet anglo-américain de placer la France sous la tutelle interalliée et le commandement du général Giraud.  Une lettre de Paul Verlaine avec dessin et poème évoquant Rimbaud envoyée à Ernest Delahaye en juillet 1877 a atteint 19 253 euro.


     Il s'agit là de pièces superbes, rarissimes que se réserve une petite poignée de collectionneurs richissimes et passionnés, les musées, les institutions. Tout le monde, bien sur, ne peut pas s'offrir pour 150 000 euro, comme ce fut le cas  récemment, une lettre de Victor Hugo à Paul Verlaine. Excusez du peu…
Pour autant, il ne faut pas désespérer :  le grand expert Thierry Bodin, l'un des plus cultivés, marchand depuis 1978 dans son magasin, Les Autographes, rue de l'Abbé Grégoire à Paris, l'assure : « On peut se constituer une jolie collection avec de petits moyens. On trouve des autographes simples à partir de 20 ou 25 euro. Des autographes intéressants entre 100 et 200 euro. Avec 200, 400 ou 600 euro, on peut se procurer une lettre du Grand Condé, de Foch, de pratiquement tous les grands personnages de la Révolution, des grands écrivains du XIX ème ou du XX ème siècle. Tout dépend naturellement du contenu du document. La lettre d'un marchand de Paris, expliquant à son correspondant  « Je ne sais pas ce qui se passe, mais ça remue beaucoup à Paris ces jours-ci. La racaille est là, plein les rues. Que vont devenir les affaires ? », prend de l'intérêt et de la valeur parce qu'elle est datée du…13 juillet 1789 ».
    Les amateurs, lecteurs de la Gazette de l'Hôtel Drouot, peuvent s'en donner à cœur joie. Pas une parution qui n'annonce une vente d'autographes ou de manuscrits, du plus banal ( mais dont la thématique rejoint toujours celle d'un collectionneur) au plus sublime. Ainsi, ces dernières semaines, au fil des pages, étaient lancée une superbe vente chez Pierre Bergé, le 7 décembre au cours de laquelle le manuscrit des Mémoires que Napoléon  avait dicté au Maréchal Bertrand, aux généraux Gourgaud et Montholon (84 pages dont 40 de la main de l'Empereur) a atteint 250 000 euro ;  d'autres ventes chez Artus et Brissonneau, à Drouot, le 23 novembre, d' autographes provenant de l'ancienne collection de Guillaume Apollinaire (Les Mamelles de Tiresias avec l'envoi à sa femme Jacqueline-Melia pour 65 000 euro),  de textes et dessins de Jean Cocteau ( 237 pages manuscrites de son « Jean Marais » de 1950 pour 22 000 euro);  chez May et Duhamel à Roubaix (Nadja, d'André Breton avec un envoi à André Gide vendu 7 800 euro) ;  chez Gros et Delettrez, à Drouot, (correspondances de Napoléon et de dignitaires de l'Empire) ; chez Renaud-Giquello et associés, (poèmes de Radiguet, Mallarmé, des lettres de Duchamp, Valéry, Zola, Aragon, Flaubert…) ; chez Beaussant-Lefèvre… On en passe et non des moindres. De quoi appâter les plus fins chasseurs.
La passion pour les autographes est aussi ancienne que l'écrit. Martial, le poète latin, répondit un jour par un épigramme à un amateur qui lui réclamait ses poésies corrigées de sa main : « C'est aimer  excessivement le livre et son auteur que de vouloir posséder ainsi ses sottises en original ». N'empêche, la leçon ne fut guère entendue. Louis XIV collectionna les autographes, de même que le grand Colbert, Mazarin ou plus proches de nous : Alexandre Dumas, la famille Bonaparte, Sainte-Beuve, Guizot, Victorien Sardou, Edmond de Goncourt, le géomètre et physicien Michel Chasle…Au siècle dernier, le XXème, Louis Barthou, Sacha Guitry, Henri Mondor, Robert de Montesquiou, Robert Schuman, Claude Seignolle, James et Henri de Rothschild, Jean Ellenstein ont été de grands amateurs de ces trésors, avec chacun sa spécialité et ses inclinations précises. Le colonel Daniel Sicklès, dans son appartement du Champ de Mars, avait rassemblé quelque 10 360 pièces des XIX et XX ème siècles qui furent dispersées de 1989 à 1997 au cours de 21 vacations pour un total de plus de 13 millions d'euro. On se souvient aussi du coup d'éclat d'Alain Delon, achetant aux enchères le manuscrit de l'Appel du 18 juin, pour l'offrir à l'Institut Charles de Gaulle, et prévenir ainsi les risques d'une vente à l'étranger. Le texte est désormais déposé au Musée de l'Ordre de la Libération.

La curieuse orthographe de la Marquise de Sévigné

Une lettre de Madame de Sévigné, ça a de l'allure, non ? En voilà une qui passait aux enchères chez PIASA les 19 et 20 octobre à Drouot, expert Thierry Bodin.  C'est une très longue et belle lettre du 25 octobre 1686 adressée au Président  Moulceau à Montpellier. L'épistolière, dans une orthographe à sa manière, y donne des nouvelles de sa famille. Elle évoque Mlle de Grignan : « je supose que vous saves quelle est entrée aux grandes Carmélites il y a huit mois, pris habit en seremonie avec un zele trop violent pour durer ».  Son fils Charles, guéri, « Il sen est retourné chez luy, avec un fons de philosophie crétienne, chamaré dun brin danacorette, et sur le tout un tandresse infinie pour sa femme » Estimée de 15 à 20 000 euro, disputée par deux collectionneurs acharnés, elle a été adjugée 67 000 euro. Le même jour une lettre de Matisse, illustrée d'un croquis était vendue 7 200 euro ; une missive d'Anne de Bretagne de 1488 : 6 500 euro ; un message de Charles VI : 15 500 euro ; une superbe charte de Philippe IV le Bel de 1298 : 29 000 euro.
« Le marché des autographes et manuscrits est bien moins vaste que celui de la bibliophilie, dit Christophe Auvermann, directeur du département livres et manuscrits de Christie's France. Cela tient pour une bonne part à la lisibilité des textes : la lecture des mots écrits par Verlaine est évidente, facile, celle des phrases de Proust pas du tout. Ce qui peut rebuter les moins aguerris. Mais pour les collectionneurs, à la recherche de pièces d'exception, ça n'empêche pas les bons prix. En 2000 chez Christie's à Londres nous avons vendu 51 placards de Proust pour environ 1 million  d'euro. Un simple signature du médecin de la Renaissance Ambroise Paré, a obtenu l'an dernier 37 000 euros ;  récemment une lettre avec le dessin d'un parachute par Joseph-Michel Montgolfier a atteint 12 000 euro ; et 3 à 4 pages autographes du récit « Fiction » de Jorge-Luis Borges est monté à 165 000 euro. »
Certains libraires, experts, marchands sont par métier à l'affût des beaux gibiers. Ils ratissent les salles de vente et vont au marché pour ceux qui n'ont ni le temps, ni la patience, ni le goût de s'y rendre eux-mêmes. Ils proposent alors le produit de leurs fouilles. Il vous suffira de passer à la caisse. Alain Nicolas, Libraire « Aux neuf Muses », quai des Grands-Augustins ;  Thierry Bodin déjà situé ;  Pierre Berès, avenue de Friedland ;  Bernard Loliée ier, rue de Seine ; Jean-Claude Vrain, rue Saint-Sulpice…figurent parmi les meilleurs et les mieux approvisionnés. Chez Jean-Claude Vrain, par exemple, au mileu de cent, de mille merveilles vous pourrez acheter pour 2000  euro un poème autographe de René Char.

Il existe à l'étranger aussi de bons spécialistes de vente d'autographes. Ainsi à Bâle, en Suisse, Erasmushaus,  propose un large choix de pages de musiciens : Brahms, Debussy, Donizetti, Gershwin, Liszt, Mozart, Nino Rota, Schubert, Schumann, Smetana, Wagner…mais aussi des  manuscrits de Cocteau, Eluard, Freud, Mistral, Napoléon Ier, Nietzsche, Renoir, Teilhard de Chardin et une belle lettre de Montgolfier à 38 000 euro…La maison de vente Jeschke, Greve & Hauff de Berlin dans sa vente de la fin octobre a  cédé pour 1 400 euro une première édition de 1940 de « Pour qui sonne le glas? », avec envoi manuscrit de Hemingway ; pour 270 euro une lettre de Bismarck, pour 260 euro une lettre de 1938 de l'Amiral Canaris, pour 100 euro une lettre de Stresemann de même qu'une lettre de…Lino Ventura.






ENCADRE

Quand Marie-Madeleine écrivait à Jésus-Christ…

La folie des petits papiers autographes était si grande parmi les collectionneurs du XIX ème siècle, que beaucoup d'aigrefins y trouvèrent leur compte. Un certain Courtois eut ainsi l'idée d'inventer des Chartes des Croisades qui firent sa fortune. Un Suisse, David Fabre, trouva astucieux de faire écrire Calvin à Saint-Vincent de Paul et de commercialiser leur correspondance. Mais la palme revient sans aucun doute à un dénommé Vrain-Denis Lucas, qu'on a appelé le « Balzac du faux », tant sa production a été pléthorique et imaginative. Jamais en panne d'invention ou de plume, il pouvait fournir des écrits de Pythagore, d'Aristote ou d'Alexandre le Grand…ou bien des lettres de Saint-Lazare à Saint-Pierre ; de Marie-Madeleine à Jésus-Christ ; de Cléopâtre à César ou à Vercingétorix ; ou même de Jeanne d'Arc aux parisiens… Certaines de ces pièces conservées à la Bibliothèque Nationale de France BNF ont été présentées lors d'une exposition en 1988 et sont évoquées dans la Revue de la BNF (n°13 de 2003). Pour fausse qu'elles soient leur valeur est grande.
« Entre 1861 et 1869, le célèbre mathématicien Michel-Floréal Chasles achète à Vrain-Lucas, 27 320 documents pour un total d 'environ 150 000 francs-or(ndlr : autour de 450 000 euro). Les écrits vont de lettres de Jules César, des apôtres ou des rois mérovingiens à celles de Charlemagne, Galilée, Newton ou Pascal, sans oublier Rabelais et Christophe Colomb… » raconte Marie-Laure Prévost, conservateur en Chef au département des Manuscrits de la BNF.
Mais un beau jour, en 1867,  le faussaire commet un pas de clerc. Il affirme à Chasles, l'auteur du fameux théorème, qu'il a découvert une lettre de Pascal, prouvant que Newton  avait puisé dans les écrits du philosophe français le principe de la gravitation universelle! Chasles lui achète le document et s'empresse de l'offrir à l'Académie des Sciences. Il y joint toutes les notes de Pascal, des dizaines,  qui surgissent miraculeusement jour après jour des poches de Vrain-Lucas . Les Anglais, aux plus hauts lieux, s'émeuvent de l'affront fait à leur savant. Mais Chasles reste ferme sur ses convictions. Et l'Académie le suit. La plaisanterie durera jusqu'en 1869 lorsque la vérité finira par éclater après les expertises les plus diverses. Le faussaire fut condamné à deux ans de prison et 500 francs d'amende. Alphonse Daudet a tiré de l'aventure son roman « L'Immortel »  
On se rappelle la mésaventure subie par l'hebdomadaire d'Outre Rhin « Stern » qui avait acheté en 1983 la gamme complète des carnets intimes d'Hitler. C'étaient des faux qui valurent à leur auteur Konrad Kujau et à son intermédiaire  Gerd Heidmann d'être condamnés en 1985 par le tribunal de Hambourg.

Publié par Le Figaro  ( 2004 )




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02/10/2009
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