Bernard Pagès: le rayonnement d'une oeuvre
De Marot à Pagès : L'ondoyante
C'est l'hommage d'un fils de Cahors à un autre enfant de Cahors. Et qu'importe si près d'un demi millénaire sépare l'un de l'autre dans le temps. Clément Marot est né dans la capitale du Quercy en 1496 ; Bernard Pagès, en 1940, dans le chef lieu du Lot. Tous deux ont beaucoup voyagé et ont eu de nombreux points d'attache : Paris, Reims, l'Italie pour le plus ancien, le poète… Paris, le pays niçois pour le plus récent, le sculpteur… Mais leur œuvre a tracé sa route à travers la France et s'est imposée dans le monde entiers par la grâce de l'imprimerie ou celle des collections d'art.
Cette sculpture monumentale imaginée par Bernard Pagès était prévue pour être installée dans une faille architecturale entre deux des bâtiments du Conseil général du Lot construits à flanc de colline. Et pour « se faufiler » sur plus de 30 mètres de long. Cette œuvre composite s'élève sur 6,50 mètres de haut et sa largeur est de 3 mètres dans sa plus grande dimension. Elle est constituée de trois éléments liés, connectés entre eux et formant une unité de sens. À l'un des deux bouts de la pièce, s'accole au sol une masse de béton coloré en bleu avec des inclusions de marbre blanc, sculptée au pic, elle même surmontée d'une poutrelle industrielle en H, tordue et peinte en brun-rouge. À l'autre bout, s'élève en oblique vers le ciel une autre poutre du même type, peinte en un jaune vif, dont la base repose elle aussi sur le sol. Entres ces deux extrémités se déroulent, comme en une ribambelle de lettres dansantes, deux vers tirés de « L'Adolescence Clémentine » de Marot, un texte publié en 1532. « Ce lien exagérément distendu et divaguant, morcelé, haché, transparent et continu à la fois », selon les expressions de Bernard Pagès, dit et écrit:
« Car tout ainsi que le feu l'or affine,
Le temps a faict nostre langue plus fine »
L'œuvre de Bernard Pagès porte pour titre : « L'Ondoyante ». Dans sa traduction pour « Le Regardeur », revue d'art contemporain dans le Lot, Bernard Pagès explique : « Comme le temps dans le texte de Marot rend « la langue plus fine », le feu purifie l'or. Il fait l'or plus « entier ». C'est le feu et l'air, l'oxygène et l'acétylène, le plasma du chalumeau oxycoupeur qui découpe les lettres et les plaques de fonction. C'est le feu qui transforme en l'affinant le fer en inox. »
Voilà donc la première création d'importance de Pagès installée dans son fief d'origine. C'est important pour l'artiste et c'était une urgence pour sa ville natale qui lui avait consacré en 1995 une belle rétrospective au Musée Henri Martin. C'est intéressant aussi pour l'amateur d'art qui peut voir là un travail de maturité d'un sculpteur. Bernard Pagès a été impressionné par Brancusi, marqué par les Nouveaux Réalistes, il est passé par le groupe Supports/Surface, mais il a développé une œuvre parfaitement originale et signée, ingénieuse et rustique, avec ses matériaux propres : la pierre, le bois, le plâtre, la brique, le parpaing, le fer, l'acier, le béton, le mortier, l'os, le plomb, la terre, le cordage, la paille, l'herbe, le plexiglas, le feu… travaillés à l'artisanale, à la naturelle. Il colle, il soude, il superpose, il combine, il confronte, il ajuste, il imbrique… tous mots extraits de son vocabulaire. Ce sont les actions de ce constructeur atypique qui se joue des équilibres, des pesanteurs, des règles établies.
« Les sculptures de Pagès fuient l'autorité comme la peste, l'autorité qu'elles pourraient avoir en premier lieu » écrit Marilyne Desbiolles, prix Femina 1999, dans le catalogue « Nous rêvons notre vie », collection Pérégrines, éditions du Cercle d'Art, Paris, 2003. Elle poursuit : « Les plus grandes d'entre elles n'imposent pas, elles n'imposent pas leur présence envahissante, grandiose. Elles ne sont pas grandioses. Elles ne rivalisent pas avec les dieux mais elles leur tiennent tête en esquivant habilement leurs foudres qui pétrifient. Le tour de force consiste aussi à garder leur ténuité même lorsqu'elles regardent de haut. Elles ont l'air de se frayer un passage dans le vide, elles n'essaient pas de le combler. Elles aussi, elles ont peur du vide mais elles n'ont pas la prétention de le colmater, elles pactisent avec lui en s'immisçant, en le trouant le plus délicatement possible. » On ne saurait mieux dire.
Les amateurs d'art, les spécialistes et les musées ne s'y sont pas trompés qui ont exposé Pagès à Nice, à New York, à Tours, Toulon, Meymac, Chambord, Toulouse, Avallon, Valréas, Montrouge, près de Bordeaux au château d'Arsac, à Saint-Paul de Vence…, à Edimbourg, New Dehli, Buffalo, San Francisco, Seattle, Gand, Bergen, Zagreb, Bruxelles, Saarbrücken, à la Marsa près de Tunis, et bien sûr à Paris au Centre Pompidou… Des œuvre monumentales de Pagès sont installées à demeure sur de nombreuses aires : « Hommage à Gaston Bachelard », à Mailly-en-Champagne, la « Fontaine Olof Palme » à la Roche-sur-Yon, un « Hommage à Albert Camus » à Nîmes, une « Colonne » au siège des Affaires culturelles de la ville de Paris, une « Fontaine parfumée » chez Fragonard à Èze, « La Pierre de l'éperon » à l'École des mines d'Alès, bientôt au siège social de L'Oréal…
C'est ce qu'on appelle rayonner…
JB
Du 15 avril au 4 juin 2011
Une exposition Bernard Pagès à Saint-Paul deVence
Chez Catherine Issert
Voici le texte de présentation par la Galerie Issert de l'exposition de Bernard Pagès:
" Bernard Pagès figure parmi les premiers artistes montrés par la galerie Catherine Issert
dès 1975. Les sculptures installées à demeure dans le jardin font aujourd'hui de la galerie un le rayonnemen
des endroits où le travail de Pagès est accessible au public en permanence.
Cette exposition personnelle rassemble des pièces récentes pour lesquelles le sculpteur
a glané un grand nombre de matériaux et d'objets manufacturés, bois d'olivier du Pal aux
Boucles (2003), galet de granit rosé et pierre calcaire brute ou béton coloré et marbre des
Surgeons (2008 et 2010), plâtre de l'Auréolée (2008), carcasse oxydée d'une moto de L'Amazone
(2010), spécimen du travail en cours où s'exerce "la fascination première de Pagès pour
des engins devenus fabuleux en raison de leur longue période d'inemploi et de leur soudaine
réactivation."
"La machine est pour Pagès un objet "appétissant". Elle présente des caractères physiques
"admissibles" en raison de leur fonctionnalité. On peut la réparer. Même rouillée, elle
fonctionne encore. Ses altérations sont émouvantes. Comme la branche d'un arbre, elle peut
"rejeter" après qu'on l'a considérée comme morte. C'est un objet phénix, comme la sculpture.
Mais son bricolage ne donne lieu à aucune extravagance (…)
Il ne s'agit pas pour le sculpteur de faire assaut de virtuosité mais d'immiscer dans la pierre, le
métal, la maçonnerie ou le bois des écarts, des accidents, des trous et des bosses de toutes
sortes et des contrastes qui permettront d'échapper à la "morne nudité" du matériau premier.
Toute l'oeuvre peut de ce point de vue être interprétée comme une machine de guerre contre
les prestiges modernes du lisse. La sculpture de Pagès est ennemie des technologies de la coque
et de la mince pellicule design qui dissimule la mécanique interne de l'appareil. Le poli n'y a de
place qu'associé au rugueux ou à l'hérissé. L'ingénierie des surfaces uniformes est à ses yeux un
instrument de dissimulation suspect, une façon d'ajouter à l'opacité du pouvoir (et du savoir)
exercé par ceux qui en font un signal urbain. la vocation de la sculpture est à l'inverse de ne rien
dissimuler de ses lacunes. Sa lisibilité doit être entière."
Les passages entre guillemets sont extraits de "Pagès, Par le travers de la sculpture" de Xavier
Girard à paraître aux éditions André Dimanche.
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