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Du cristal à tout prix… ( 2004 )

Du cristal à tout prix…
                


Les antiquaires spécialisés dans les verres et cristaux de qualité s’en plaignent : « Nous trouvons, affirment-ils, de moins en moins de marchandise » Cela s’explique : s’il n’y a rien de plus beau rien n’est plus fragile que des verres en cristal. D’un déménagement l’autre, d’une succession l’autre, combien de verres sont inexorablement brisés. Sans parler des convives malhabiles, des vaisselles maladroites ou des scènes de ménage …De fait, ceux qui possèdent des services de verres anciens et rares n’aiment guère s’en séparer. Quant à l’idée de s’équiper, en remplacement, d’un service neuf, elle peut se heurter à des niveaux de prix fort élevés.

C’est un évidence, un service acheté sur le second marché coûte beaucoup moins cher qu’un service neuf. Au 8 ème Pavillon de Printemps, au jardin des Tuileries à Paris du 27 mars au 4 avril, l’expert, antiquaire du Louvre des Antiquaires Yvan-Guillaume Boscher proposait pour 5 489 euros un service complet français de douze fois quatre verres de cristal, avec gravure et taille du XIX ème siècle, pied en étoile. « Fait aujourd’hui il vaudrait 35 000 euros. » Un autre service de Baccarat (autour de 1900), 50 pièces, modèle Kensington, était proposé à 5 200 euros. « Il en coûterait 4 400 euros par verre pour le faire refaire aujourd’hui, assure l’expert ». Anne Lajoix, experte judiciaire dans les arts du feu à Paris, raconte qu’elle n’a pas pu faire admettre à une personne vendeuse d’un service Tommy de Saint-Louis que ses verres anciens ne valait que le quart ou le cinquième du même modèle neuf.
    Un service complet chez un antiquaire ou un brocanteur peut se trouver de 500 à plusieurs milliers d’euros. Par exemple, un service Harcourt (Baccarat) de 48 pièces peut valoir 5 000 ou 6 000 euros. Un verre, à l’unité, coûte, en comparaison bien moins. Mais tout dépend bien sur de la qualité du verre et du travail. Le verre est-il soufflé ou pressé-moulé ? Taillé ou gravé ? Taillé et gravé ? Doré ? Compter de 30 à 200 euros. Une carafe vaut de 150 à 400 euros. L’ancienneté n’est pas tellement prise en compte, ce qui permet aux amoureux de l’ancien-ancien de tomber sur des merveilles très abordables. Armand Godard-Desmarest, expert à Paris, et descendant de très anciens dirigeants de Baccarat, rappelle que le nombre des pièces compte beaucoup dans l’évaluation d’une série. Un ensemble de sept verres d’un joli modèle d’époque Napoléon III, pied en marguerite, est évalué de 700 à 800 euros. Dépareillé, un verre unique ne vaut plus grand chose. L’expert explique aussi que certains services ont une forte cote d’amour comme le service Masséna (Baccarat) très apprécié aux Etats-Unis. La plus petite, et sans doute la plus ancienne boutique de Paris (ouverte depuis 1638) « Rarissime », au flanc de l’église Saint Roch,  propose pour  750 euros une douzaine de verre à pied, fin XIX ème en cristal gravé et pour 275 euros 6 verres ballon « Royale de Champagne »

    L’histoire du cristal (pas si vieille) se confond avec celle de quelques marques toujours en activité. La plus célèbre est Baccarat. Un superbe ouvrage publié par Dany Sautot aux éditions Massin en raconte la saga qui s’étend de 1764 à nos jours, depuis la verrerie Sainte-Anne dans la châtellerie de Baccarat en Moselle jusqu’à l’hôtel particulier de la place ces Etats Unis où Charles et Marie-Laure de Noailles ont fait vibrer les Années folles. Dans ce livre défilent les siècles et les créations. Voici le service de Louis XVIII (1823), celui de Charles X (1828), celui de Louis-Philippe (1841)…Voici le service de l’Elysée (1899), celui du Tsar (1906), celui du Shah  d’Iran (1910), du Maradjah de Baroda (1920), du roi d’Espagne Alphonse XIII (1920), du Prince Aga Khan (1927), du Prince de Galles (1930)…La liste pourrait être allongée. Le livre raconte aussi l’histoire du cristal qui a abouti en 1971 à la définition pour l’ensemble de la Communauté européenne d’un verre ayant un indice de réfraction égal ou supérieur à 1,545. « L’origine du cristal au plomb remonte au XVII ème siècle en Angleterre quand le roi Jacques I er réserve l’exploitation des forêts au chantiers navals, explique Dany Sautot ». Les verriers sont alors contraints d’employer le charbon qui provoque une coloration indésirable. Un industriel, George Ravenscroft, a alors l’idée, en 1676, d’ajouter de l’oxyde de plomb à la composition initiale. Le cristal est né. Les premiers cristaux au plomb français comparables à ceux d’outre Manche seront commercialisé en 1781. A Baccarat, dans la verrerie Saint Anne, le premier four à cristal sera allumé en 1816.

            Le souffle devient matière

    Pour constater de visu la richesse créative de Baccarat il suffit de visiter, 11, place des Etats Unis, le musée placé sous la houlette de son conservateur passionné, Michaela Lerch-Moulin. Le décor a été imaginé par Philippe Starck et illustré par le peintre Gérard Garouste autour du thème des Quatre éléments : l’eau, la terre, l’air, le feu. Vous y serez accueilli par le monumental vase Simon, joyau de l’Exposition universelle de 1867. Un vase en cristal pourpre doublé de cristal clair.  Vous serez ébahi par la finesse de cette bonbonnière dont Michaela Lerch-Moulin peut dire qu’elle est « le souffle devenu matière ».
    
Pour entrer dans la légende et vous équiper aujourd’hui mettons d’un service de verres de Baccarat il vous en coûtera des sommes différentes selon les modèles : 215 euros pour le modèle Rivoli : ; 294 pour le modèle Vendôme ; 252 pour le modèle Onde ; 64 pour le modèle Véga ;  69 pour le modèle Rohan ; 88 pour le modèle Arcade, 89 pour le modèle Brummel (né en1911)…Le modèle Harcourt, produit par Baccarat depuis 1841, vous sera facturé 120 euros. Mais d’autres anciens modèles refaits sur commande comme le verre Vallée du service du Tsar peut avoir un prix beaucoup plus élevé: 2860 euros…
    
Du verre au cristal, le parcours prend, chez Daum, une cinquantaine d’années. Jean Daum avait créé une première verrerie à Nancy en 1878. En 1891, son fils Antonin ouvre un département d’art et lance dès lors la fabrication de vases ornés de fleurs ciselées, préfigurant le style « Art Nouveau ». Ses ateliers maîtrisent le façonnage du verre à chaud, la gravure à l’acide et à la roue, la peinture sur verre, l’utilisation du verre en triple couche. Multipliant inventions et brevets, les Daum sont les premiers à habiller la lumière électrique avec du verre. En 1920, sous l’impulsion de Paul Daum naissent des pièces d’une esthétique nouvelle qui annoncent le style « Art déco ». Le verre prend son aspect minéral , il est givré, cristallisé, taillé de pans biseautés et agencé dans l’esprit cubiste. Vers 1930, enfin, Michel Daum, fils d’Antonin, met au point la fabrication du cristal, matière faite de verre auquel est adjoint 24 % de plomb. Cette nouvelle matière supplantera progressivement le verre. Aujourd’hui chez Daum le verre modèle Raisin coûte de 180 à 200 euros.

C’est en 1907 que René Lalique commence à utiliser le verre autrement que pour les bijoux dont il s’était fait une spécialité.  Il met au point le verre opalescent, décore l’Orient Express, le paquebot Normandie, créée les fontaines du rond-point des Champs Elysées…Le cristal s’imposera par la suite et des pièces créées en verre par René Lalique seront par la suite commercialisées en cristal. Elles le sont encore aujourd’hui. Dans le service Phalsbourg, modèle créé en verre en 1924 par René Lalique, commercialisé en cristal depuis 1951, le verre vaut  de 100 à 110 euros ;  de même pour le service Bourgueil (créé en 1930) ; de 90 à 100 euros pour le modèle Guebwiller ( créé en 1926).
    
    Saint-Louis, qui a été la première manufacture, en 1779, à mettre au point la technique du plomb continue son activité et produit des services merveilleusement taillés, gravés, décorés à l’or fin. Cette cristallerie produit aussi de grands vases dits « Versailles
», pesant 30 kg, en cristal doublé couleur et à taille diamant, des objets à filigrane et des boules presse-papiers millefiori très recherchées par les  collectionneurs.

Presse-papiers

Les services de table ne constituent en effet qu’une facette de l’activité des cristalliers. Baccarat s’est fait aussi une spécialité dans les presse-papiers en cristal. La Gazette de Drouot relevait pour une vente du 17 mars 2003, chez Boisgirard et associés, un de ces objets, orné d'un bouquet en croix taillé à 6 pontils latéraux et un supérieur (9 200 euros). Un autre, orné d'un papillon à corps violet et ailes polychromes survolant une double clématite blanche (diamètre: 7 cm) obtenait 3 800 euros. A 4 800 euros, partait un autre presse-papiers de Baccarat (diam. : 7,2 cm) contenant une primevère, une clématite et des bonbons bleu-blanc et rouge-blanc. L’objet est taillé de deux rangs de pontils et d'une étoile au revers. Enchère à 4 100 euros pour un autre exemplaire de Baccarat (diamètre: 6,6 cm) Sujet : une camomille jaune à coeur vert, dans une périphérie à bonbons bleu-blanc alternée de bonbons rouge-blanc. Un autre presse-papiers  (diamètre : 7,2 cm) de Saint-Louis, orné d'une camomille et d'un bonbon blanc sur fond de latticino rose spiralé était vendu 3 800 euros. La manufacture de Clichy a réalisé aussi de presse-papiers très recherchés.
Lalique, de son côté aussi, a excellé dans la création d’objets de décoration. Le 5 avril 2003, à l’Hôtel des ventes d’Avignon, chez Ivoire France, un bouchon de radiateur signé René Lalique atteignait 8 500 euros. Ce bouchon de radiateur, « Vitesse », épreuve en verre moulé et pressé, haut de  18,8  cm, a été créé en 1929 comme statuette-mascotte pour l'inauguration du train « Côte d'Azur Pullman-Express » Un exemplaire en avait été remis à chaque passager. Un bouchon identique en verre opalescent s’est vendu 32 500 euros le 10 octobre 2003, chez Bonhams & Butterfields, en Pennsyvanie (USA), sur une estimation de 10 000 euros.  Dans une autre catégorie, un vase « Feuilles de lierre dentelées » de 1930, verre à la cire perdue, a été adjugé 73 500 euros le 24 novembre 2003 chez Tajan à Paris, sur une estimation de 22 000 euros. Créé (en verre) en 1927 et toujours au catalogue, mais en cristal satiné depuis 1945, le vase Bacchantes est vendu, neuf, en boutique Lalique 2 550 euros.





Encadré


CIBLER LES BONNES OCCASIONS

Même si  le coup de cœur  est le guide le plus sur de l’amateur, quelques conseils de spécialistes ne sont jamais à négliger. Dans la série « Les Carnet du Chineur » aux éditions du Chêne, le très joli et agréable volume consacré aux « Arts de la table » d’Inès Heugel fournit des renseignements fort utiles à ceux qui veulent acheter des verres chez les brocanteurs ou même chez les antiquaires. Question : comment reconnaître le verre et le cristal ? Réponse pour le cristal: au son qu’il produit, le fameux son « cristallin » ( que l’on produit en pinçant délicatement le bord du verre et non en choquant celui-ci ); à son poids : il est légèrement plus lourd que le verre ; à sa transparence: il reflète davantage la lumière. Un conseil :  pour reconnaître un verre ancien « soufflé bouche et façonné main », il suffit de passer le doigt sous son pied. On sent une irrégularité parfois coupante : c’est la trace du pontil, (comme on nomme la tige en métal qui permet au verrier de soutenir le fond de la pièce qu’il souffle .)
Inès Heugel prodigue bien d’autres astuces. En voici quelques unes. Placée sur un fond blanc, comme un mouchoir, une gravure ancienne prendra un aspect gris et sombre alors qu’une gravure récente apparaîtra blanche et poudreuse. Les verres en cristal à vin rouge et à eau sont plus recherchés que les verres à vin blanc, à porto ou à liqueur. Plus un modèle a eu du succès à son époque, plus il est recherché, rare et cher : Harcourt de Baccarat, Kim de Daum, Poincaré de Saint-Louis. Quant aux verres en verre, il faut savoir que plus ils sont légers plus ils sont anciens. Un verre ancien est irrégulier, rempli de bulles et d’impuretés. Le pied d’un verre ancien est aussi large que la paraison.
Il faut savoir en outre que pour Baccarat, les pièces de table ne sont signées qu’à partir de 1936. Seule étiquette de papier collé les identifiait jusque là. La production Lalique est toujours signée en intaille ou en relief. Mais certaines pièces de second choix à leur époque ont pu être signées plus tard. Daum ne s’est lancé qu’en 1934 dans la production du cristal pour répondre à la commande de cent mille pièces destinées au paquebot Normandie. Jusque là, Daum était spécialisé dans les techniques de la pâte de verre et la production de vases décoratifs.

Publié par Le Figaro ( 2004 )


02/10/2009
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