Edward Hopper : Mais il est vivant !!
« Lever de rideau sur Edward Hopper » par Karin Müller, éditions Guéna-Barley, 2012. 114p. 9 €
« Avez vous lu Baruch ? » demandait fébrilement Jean de La Fontaine, le fabuleux fabuliste, à tous ses amis lorsqu’il les croisait alors qu’il venait tout juste de découvrir dans l’Ancien Testament le Livre de ce prophète biblique, pour lui un génie… Aujourd’hui, la grande question des Parisiens serait plutôt ; « Avez vous vu Hopper ? » Depuis l’inauguration de la rétrospective Edward Hopper, le 10 octobre, dans les galeries nationales du Grand Palais, les salles consacrées au peintre américain ne désemplissent pas. Et la file des visiteurs impatients s'étirera sans nul doute jusqu’au 28 janvier, date de sa clôture. Hopper est la coqueluche de la capitale.
Il faut bien le reconnaître : on n’est guère étonné par ce succès colossal. L’œuvre de ce peintre, né le 22 juillet 1882 à Nyack dans l’État de New York, mort le 15 mai 1967 à New York, est une référence absolue. Elle est puissamment évocatrice d’une société aujourd’hui évanouie mais qui demeure dans notre imaginaire collectif comme le reflet de nostalgies, de mélancolies et de sentiments éternels. Comme des chansons de Damia ou d’Édith Piaf, de Barbara ou de Juliette Greco, transmutées en images mentales ou en icônes durables par un affichiste de génie.
Bien sûr, on connaît Hopper… On a vu de ses tableaux reproduits dans des journaux, sur des couvertures de livres de poche… Hopper fait partie de notre iconographie personnelle. Mais Hopper, on l’a perçu jusque là par bribes. Par flashes. Ce qui veut dire qu’en réalité, on ne le connaît pas. Et c’est là qu’intervient magistralement Karin Müller. Comme elle l’avait fait avec « Les fulgurances de Nicolas de Staël » en rendant sa parole à l’artiste, elle met dans la voix d’Edward Hopper, le récit ( posthume et assumé) de sa propre vie. C’est une autobiographie narrée à la première personne et qui sonne juste. Ce qui était toujours encore enfermé dans des récits extérieurs et neutralisés, factuels mais rien de plus, devient sous la plume de Karin Müller chargé de naturel et de vie.
Amateur d’art, co-directrice d’une galerie d’art parisienne rue Guénégaud ( Galerie Gimpel & Müller ), Karin Müller a su dans un volume d’une centaine de pages restituer ce « roman d’une vie » que fut l’existence d’Edward Hopper. « Il fallait beaucoup de rigueur, de retrait et de sensibilité pour donner voix au grand silencieux de la peinture figurative américaine du XXème siècle, au peintre de l’incommunicabilité ! » écrit avec justesse et pertinence dans la préface, le conservateur des musées de Pontoise, Christophe Duvivier.
Le récit, en effet, de la vie d’Edward Hopper, de Nyack, près de Manhattan (1882), à New York (1967), avec quelques escapades à Paris, en Espagne, au Mexique… permet à Karin Müller, de tracer aussi le sismogramme des mouvements du cœur et de l’âme de l’artiste. Avec ses forces et ses faiblesses. Hopper retient les formules de son maître Robert Henri qui disait : « L’art médiocre se borne à dire quelque chose, par exemple « voici la nuit ». Le grand art donne la sensation de la nuit. Le grand art est plus proche de la réalité, bien que l’art médiocre la copie davantage ». Il raconte sa technique : « Je travaille très lentement. Un tableau à l’huile me prend plusieurs mois ». Sa pratique : « Je transforme le spectateur en voyeur ; je m’inspire des films du début du siècle, de leur mystère ». Hoppper évoque ses difficultés, ses succès, ses voyages, son mariage, sa guerre, et sa mort. Et tout cela se déroule sans qu’on puisse rien objecter. Bien au contraire à travers cette lecture, aisée et sans fioritures inutiles, on conquiert l’impression d’être entré dans l’intimité d’un immense artiste, dont la renommée n’est pas près de s’éteindre.
JB
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