Faïences françaises : quand les prix explosent ( 2005 )
Les faïences françaises : quand les prix explosent
C’est tout son charme : le marché des faïences anciennes est plein de surprises. Refuge de la nostalgie, quête de la beauté des formes et du chatoiement des coloris, il est aussi disparate et intriguant. A la fois très régional ou même local il est également international. Aussi, les collectionneurs les plus pointus, les plus attachés à des pièces particulières sorties de tel four de Strasbourg, de Sarreguemine, de Martres Tolosane, de Quimper ou de Malicorne peuvent-ils avoir le bonheur, en chinant, de les trouver à l’autre bout du pays, en Allemagne, en Belgique ou aux Etats Unis. Les prix sont parfois stupéfiants. Dans les deux sens d’ailleurs. Soit parce qu’un plat ancien ou une assiette convoités, peuvent s’acheter pour quelques miettes en fouinant sur une brocante ou dans une vente. (C’est encore le cas). Soit parce que leur prix explose et peut dépasser les prévisions les plus ouvertes d’experts pourtant aguerris. La Gazette de l’Hôtel Drouot fournit chaque semaine à l’amateur de faïences de multiples pistes de jeu et des émotions garanties. Et des tableaux de résultats fort instructifs des cotes et de leurs variations.
La plupart des collectionneurs de faïence sont certains que rien n’est plus beau et ne vaut plus que les productions des Cinq Grands, cinq centres importants et historiques: Rouen, Moustiers, Marseille, Strasbourg et Nevers. Et il est exact que ce sont elles qui en règle générale font les plus beaux résultats. Mais il existe en France, du Nord au Sud, de Quimper à Vallauris, bien d’autres centres de production qui ont leurs fanatiques et leurs thuriféraires. A juste titre.
Records mondiaux
Une vente très significative et très éclairante de ce marché passionné s’est déroulée le 3 décembre 2004 à l’Hôtel Drouot. PIASA, assisté de Manuela Finaz de Villaine, expert, y a vendu pour 1 057 093 euro de céramiques anciennes françaises et étrangères. Les objets ont été acquis pour la plupart par des amateurs français, anglais et allemand. La collection mise en vente, réunie entre 1930 et 1950, s’inscrivait dans le répertoire de celles des plus grands collectionneurs comme Papillon, Perrot, Gorge, Tumin, Hass et Levy…Y figuraient des pièces à pedigree reflétant la diversité des centres faïenciers européens du XVIème au XIXème siècle..
Parmi les œuvres de faïence importantes, figurait une rare terrine ronde marseillaise de la manufacture de la Veuve Perrin avec son couvercle et son décor « aux trophées de poisson » munie de deux anses et reposant sur quatre pieds, estimée de 10 000 à 15 000 euro, vendue 72 199 euro (frais compris). Il s’agit d’un record mondial pour une terrine de Marseille. Ce décor très original ne se retrouve nulle part ailleurs qu’en cette ville. Il est à mettre au compte des peintres de l’académie de peinture de Marseille, qui assuraient une qualité de graphisme et une richesse de coloris supérieure à celles de toutes les manufactures concurrentes.
D’autres superbes faïences françaises se retrouvaient dans cette collection, notamment un beau plat de Moustiers remarquable par sa taille : 63 cm de longueur, avec un décor dit « à la Berain », acquis par un collectionneur privé pour un montant de 66 183 euro (frais compris) sur une estimation originelle de 5 000 à 6 000 euro. Ce plat, qui présente une fêlure et deux trous de suspension, montre Apollon debout sur un socle. Il est flanqué de deux fins tableaux représentant l’un Zeus, un aigle à ses pieds, l’autre, son frère Poséidon ; un troisième médaillon figure Aphrodite endormie au pied d’un arbre. L’effet de perspective créé par le camaïeu bleu est à souligner.
Des « trompe l’œil » faisaient aussi partie de la collection comme ce pigeon en faïence de Strasbourg qui, sur une estimation de 20 à 30 000 euro, a été vendu 50 539 euro (frais compris). Cette terrine, il faut le dire, a été modelée par Jean Guillaume Lanz sous la direction de Paul Hannong vers les années 1740.
On remarquait également un ensemble de faïence de Sinceny , très prisé par les collectionneurs, et notamment une assiette à bords contournés à décor polychrome (N°197) qui, estimée de 4 à 6 000 euro, a été vendue 15 041 euro (frais compris). Il s’agit d’un record mondial pour une assiette de Sinceny. Cette pièce est l’unique exemplaire répertorié à ce jour. On le voit, les prix ont respecté les hiérarchies.
Quelles sont les spécifités de ces faïences prises dans leur diversité géographique?
Rouen.
Solange de Plas, auteur chez Massin d’un livre sur « Les faïences de Rouen, du Nord de la France et de la région parisienne » explique que ces faïences là se distinguent par leur terre plus rouge qu’à Nevers et à Delft dont la couleur est blanchâtre. « Leur émail, d’un blanc laiteux dans les pièces anciennes, est légèrement bleu verdâtre dans la série hollando-chinoise et grisâtre par la suite. L’exécution est toujours extrêmement soignée et minutieuse, les dessins sont souples et amples, très finement cernés. Le bleu y paraît éclatant si on le compare aux productions de Saint-Cloud, Lille ou Paris. » Installée au XVI ème siècle à Rouen avec notamment Masseot Abaquesne, la faïence y prospère à partir de la fin du XVII ème en particulier sous la houlette de la famille Poterat. En 1761, Rouen fait travailler 570 faïenciers autour de 25 fours. C’est l’âge d’or. Le déclin se produit au XIX ème siècle. La dernière fabrique disparaît en 1847. Une assiette de 22 cm de diamètre à décor rayonnant de lambrequins et rinceaux alternés du XVIII ème siècle, était vendue 5 403 euro par Me de Nicolaÿ en mars 2001 à Drouot. Un plat octogonal à décor de Chinois dans un paysage et galon de lambrequin, XVIII ème, trouvait preneur à 4 221 euro chez Pescheteau-Badin-Godeau-Leroy en mars 2001 à Drouot. Une assiette à décor polychrome dans le goût asiatique , XVIII ème, s’est vendue 15 000 euro le 11 octobre 2004 chez Denesle & Frémaux, Lejeune Art enchères. Le 3 décembre, une bannette décorée au centre d’une frise en camaïeu bleu de huit amours dansant et jouant de la viole ou du luth, se détachant sur un fond jaune niellé noir, du XVIII ème siècle, d’après Pierre Brebiette, était adjugée 8 800 euro par Piasa. Et une boite rectangulaire à décor polychrome d’oiseaux posés sur des branchages d’œillets fleuris partait pour 6 200 euro.
Moustiers.
« Deux familles, les Clérissy et les Viry, sont à l’origine de la fabrication de faïences à Moustiers et vont lui assurer son essor et sa réussite » raconte Dorothée Guillemé Brulon, auteur d’une « Histoire de la faïence française » chez Massin. Les Clérissy, « fayenciers » travaillent à Moustiers depuis le XVI ème siècle, les Viry « maîtres peintres » ont débuté au XVIII ème. Ils ont donné le la avec des formes décoratives, des pièces d’apparat avec des décors et des médailons centraux à motifs de scènes animées : chasses royales, empruntées au peintre graveur florentin Antonio Tempesta ; décors de jardins et d’intérieurs de villas romaines très Renaissance, en camaïeu bleu, dits à la Berain, du nom du dessinateur de la chambre et du cabinet de Louis XIV ; pièces polychromes aussi de la période du « retour d’Alcora » de l’atelier d’Olerys, avec des personnages et des animaux grotesques. Ces périodes de fastes, avec aussi les Fouque, les Pelloquin, les Feraud, les Berbegier, durèrent jusqu’à la fin du XVIII ème siècle.
Marseille.
La faïence y fait son apparition dès le Moyen-Age. Mais elle s’y épanouit au XVIII ème siècle où l’on retrouve les Clérissy, les Viry de Moustiers, et leurs familles, les Heraud, les Leroy, les Fauchier. Et puis surtout la veuve du nivernais Claude Perrin, née Candelot, qui initie à Marseille la technique du petit feu et mourra en 1794 à 85 ans. Ses décors de fleurs des Indes, au Chinois, ses décors floraux en camaïeu de vert, ses fonds de couleur, ses paysages, ses décors animaliers (ses célèbres poissons ) font la gloire de sa faïencerie. D’autre maisons sont célèbres comme celle de Gaspard Robert ou d’Antoine Bonnefoy.
Nevers.
Depuis le XVI ème siècle Nevers utilise la technique italienne de faïences à décor en camaïeu bleu ou polychrome. Une technique qui sera longtemps en vigueur. Un saladier en faïence du XIX ème siècle représentant au pied d’un arbre un exotique et inattendu capybara, rongeur d’un mètre de long, pesant 50 kilos et vivant en Amérique du Sud, était vendue 820 euro, le 22 septembre 2004, par Pescheteau-Badin à Drouot.
Strasbourg.
La famille Hannong y travaille la faïence depis 1709 et assure le succès de ses entreprises en créant des modèles de pièces de forme ou de services et des statuettes traitées au petit feu : singes, oiseaux, chasseurs, chiens, faisans… qui furent très admirées, très achetées et sont toujours fort prisées . Un présentoir à bords en accolade, décor d’œillets du XVIII ème siècle était vendu 5 066 euro en juin 2001 par Ribeyre et Baron à Droouot. Deux statuettes de cerfs courant (XVIII ème) étaient adjugés 28 729euro par Piasa en décembre 1999 à Drouot.
D’autre régions ont elles aussi des résultats intéressants. Une jatte patronymique à bord chantourné en faïence de La Rochelle, du XVIII ème siècle obtenait 11 300 euro, le 4 décembre 2004 à l’hôtel des ventes de cette ville, chez Lavoisière-Gueilhers. Une assiette en faïence de Bordeaux avec un décor de quatre personnages et une biche, XVIII ème, était adjugée 1 600 euro par Me Delarue, le 7 novembre 2004, à l’hôtel des ventes du Périgord à Bergerac
ENCADRE
Les secrets des marques et des fabriques
Les guerres de l’ancien régime ont fait la fortune des faïenciers. Les vaisselles d’or et d’argent de l’aristocratie étant réquisitionnées au fil des conflits armés pour être fondues et transformées en monnaies sonnantes et trébuchantes, les rois et leurs cours, les nobles et les bourgeois se constituent alors des vaisselles de terre vernissée. Aussitôt, aux quatre coins du Royaume de France, s’épanouissent les fabriques qui, via les hispaniques et leurs Majoliques (de l’île de Majorque), s’inspirent des anciennes techniques arabes elles-mêmes empruntées aux Persans.
Les faïenciers utilisent de l’argile, une terre grasse composée de silicate d’alumine que l’on trouve un peu partout et qu’il faut souvent améliorer. Terres blanches , jaunes ou rouges. Les terres rouges, imprégnées d’oxyde de fer, deviennent rouge brique à la cuisson. Celle-ci s’effectue autour de 800 degrés. Une deuxième cuisson, de grand feu, à 950 degrés, se pratique ensuite sur les pièces une fois émaillées et décorées au moyen d’ oxydes ou de sulfures. C’est le cas à Rouen et Nevers. Intervient aussi un autre type de cuisson ( une troisième, qui offre une gamme plus chatoyante de coloris ), de petit feu ou feu de moufle, à 700 ou 800 degrés, pour fixer le décor fait au pinceau sur l’émail cuit comme à Strasbourg chez les Hannong, à Marseille chez la veuve Perrin…
« Les Gallo-Romains marquaient déjà leurs poteries, mais ce n’est que dans le courant du XVII ème siècle que l’on commence à apposer une marque d’origine sur les faïences françaises, à l’imitation des fabricants de porcelaine », explique Henri Curtil, auteur de Marques et Signatures de la Faïence française (Massin) qui en répertorie et visualise des centaines relevées dans les principaux musées, dans de très nombreuses collections privées et dans les réserves et les archives des ateliers et des fabriques qui existent encore. « Apposées au revers de la pièce, les marques sont très souvent de couleur. Bleu de cobalt ou oxyde de manganèse. Elles représentent généralement les initiales du décorateur, quand elles ne portent pas la double indication de la fabrique et du décorateur ». Leur décryptage est parfois aussi savant que celui du Code Da Vinci…
Publié par Le Figaro ( 2005 )
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