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Guy de Lussigny : une quête de perfection

 

 

Découvrir d’un bloc l’œuvre complète d’un artiste que l’on ignorait jusque là est une aubaine. Je ne connaissais pas encore, je l’avoue, les tableaux de Guy de Lussigny. L’exposition organisée du 20 novembre au 8 janvier à Paris, rue de Guénégaud, par la « Galerie Gimpel & Müller », ( dont j’ai eu la primeur ) m’a permis de réparer cette lacune. Et m’incite même, désormais, à considérer ce peintre discret comme l’un des grands de sa génération.  Guy de Lussigny est mort à Paris le 14 juillet 2001. Né à Cambrai le 30 août 1929, il avait 72 ans. L’artiste n’étant plus de ce monde, son travail forme un tout. On y perçoit un cheminement, une ascèse, une voie… « La mort, disait André Malraux, transforme une vie en destin ». Elle transmute une œuvre en aboutissement.

 

Enfant de commerçants cambraisiens, - ses parents possédaient un magasin renommé de vêtements, le "Palais de la mode" - tout jeune, Guy de Lussigny est un pianiste doué et fervent: il est primé par le Conservatoire de musique de Cambrai. Il suit à Paris ses études secondaires, puis à la Sorbonne des études d’histoire qui le conduisent à la licence. Mais sa grande affaire, c’est la peinture. Il visite les musées, dévore les livres d'art et il commence à peindre, au début des années 50. D’abord figuratif - il vénère Van Gogh et fait ses preuves de bon dessinateur et coloriste -, il opte vite pour l’abstraction, et même l’abstraction géométrique, en admirateur passionné d'abord de Delaunay et de Klee puis de  Mondrian ou de Malevitch. En 1955, il va à la rencontre de Gino Severini, qui fut l’un des animateurs avec Balla, Boccioni et quelques autres, du fructueux et énergique « mouvement futuriste » né en Italie en 1910. Severini le confirme dans ses choix esthétiques. Pour lui, dorénavant, la ligne droite : « concept commode du raisonnement mathématique ;  le carré : « la forme la plus stable qu'ait inventée l’esprit humain» et la couleur sont les trois éléments directeurs de son travail. En 1956, avec son aîné Auguste Herbin (1882-1960), originaire de Quiévin dans le Nord, il approfondit la fonction de la couleur.


L’œuvre de Guy Lussigny prend du poids. La galeriste Colette Allendy, une pionnière qui a été la première à exposer Yves Klein, qui a montré Arp, Robert et Sonia Delaunay, Kandinsky, Kupka, Gleizes, Léger, Lhote, Marcoussis, Picasso, Villon… et aussi Aurélie Nemours, Colette Brunschwig… lui offre sa première exposition personnelle, rue de l’Assomption, dans le XVI ème arrondissement. Dès lors, Guy de Lussigny va exposer régulièrement en France, en Italie, à Londres, en Belgique, en Allemagne, au Japon… Il participe aux salons « Grands et Jeunes d’aujourd’hui », « Réalités nouvelles », « Comparaisons ».

 

 


 

En 1964, Guy de Lussigny fait la connaissance  d’André Le Bozec, responsable des ventes chez Larousse, qui partage sa passion pour l’art et deviendra un grand collectionneur et un mécène. La première œuvre de sa collection est une sérigraphie de Josef Albers, achetée sur les conseils de Guy de Lussigny. Un carré, bien sûr.  En 1967, Guy de Lussigny quitte son bercail du Nord pour s’installer à Paris. De 1969 à 1975, il travaille, dans la capitale et à New York, comme directeur des galeries de Denise René, fédératrice des artistes du « Mouvement » et de l’art cinétique. Continuant son parcours dans l’art et avide d’apprendre toujours davantage, il va au contact d’autres artistes avec lesquels il noue des liens puissants : l’italien Antonio Calderara, le sculpteur allemand Hans Steinbrenner, le sculpteur italien Francesco Marino Di Teana, les peintres français Jean Dewasne, Antoine de Margerie… Il a avec eux des discussions pointues et  enrichissantes. La confrontation des points de vue lui apporte de nouveaux éclairages. La reconnaissance officielle est au rendez-vous. En 1998, Guy de Lussigny se voit décerner le prix Dumas-Millier par l’Institut de France, Académie des Beaux-Arts. Ses œuvres entrent dans les collections privées et publiques, à Valenciennes, Montbéliard, au fond National d’art contemporain, au Frac Ile-de-France, à Mâcon, au Musée Tavet-Delacour de Pontoise, au Musée Matisse du Cateau-Cambrésis, à la Fondation Calderara, à la Fondation Freundlich, au Musée Chelmskie en Pologne, au Mondriaanhuis aux Pays Bas, au Musée Satoru-Sato au Japon, au Musée de Waldenbuch en Allemagne, au Musée des Beaux-Arts de Cambrai avec une donation importante d’André Le Bozec…


Cette prise en considération de la peinture de Guy de Lussigny va de pair avec une appréciation de son art par la critique d’art. « Dans la continuité du néoplasticisme, Guy de Lussigny s’est doté d’une vocation géométrique qu’il a développée avec rigueur et d'une détermination qui n’a jamais faibli. Pour parvenir à une nouvelle réalité plastique, son langage intuitif et empirique s’appuie sur la couleur", écrit l'historienne d'art Lydia Harambourg, une référence.  « Il règne autour des toiles de Guy de Lussigny un mystère. Comme le témoignage murmuré d’une aventure intérieure, presque d’une expérience mystique. Il lui suffit de décliner la forme géométrique la plus simple – le carré – et de jouer sur les oppositions chromatiques les plus imperceptibles, pour dilater ses œuvres picturales, les hisser au rang d’un véritable univers, où il s’agit moins de cueillir, de chercher ailleurs son bonheur, que de se recueillir, de se trouver soi-même », assure Frédéric Vitoux de l’Académie Française, lié à Guy de Lussigny par une profonde amitié.

 

Lorsque l’on met en perspective l’ensemble du travail pictural de Guy de Lussigny on est frappé par la prégnance - la quasi omniprésence - du carré. Cette forme parfaite dont les quatre côtés, par définition exactement égaux,  délimitent le plus souvent ses toiles, ses gouaches, ses peintures sur isorel…  Que ces peintures mesurent 1,30 m sur 1,30 m ou 37 cm sur 37 cm, le carré est, aussi, une des constantes des formes définies, organisées  sur les tableaux eux-mêmes. Carrés uniques, carrés multiples ; carrés accolés, isolés, rangés, décalés ; petits carrés, grands carrés… et, aussi des lignes, sous formes de segments ou de tracés dessinant souvent des carrés.  Formellement, le jeu de ces figures - dont la nomination parait toujours identique - est infini. Ce jeu - comme on parle d’un jeu de go, d’un jeu d’échecs, d’un jeu de dames - et surtout l’installation des éléments majeurs de ce jeu semblent nés d’une réflexion puissante et même d’une stratégie secrète sur la place que chaque pièce doit exactement occuper dans l’espace offert. Dans cette rhapsodie illimitée, du noir le plus profond au vermillon explosif, du gris intense au jaune le plus vif, la couleur, les couleurs subtilement maîtrisées impriment leur musique contrôlée à l’architecture majestueuse et impérative. Le mot "perfection", qui était la référence absolue de Guy de Lussigny, sa quête constante, s’impose.

 

Sortons de l'examen formel pour oser une interprétation personnelle. Elle vaut ce qu’elle vaut dans la limite de l’exercice. Mais elle me permet, comme dans la lecture d’une poésie de Stéphane Mallarmé ou de Paul Valéry, d’introduire dans la contemplation de chaque œuvre la part de sensibilité qui fait sens, au moins chez le regardeur. « Sur mes tableaux, dit Pierre Soulages, les sens viennent se faire et se défaire ».  Et Guy de Lussigny lui-même, -dans un texte que révèle le beau catalogue de sa rétrospective actuelle à Cambrai- :" La création artistique de notre époque doit d'abord enrichir celui qui la reçoit, qui en jouït. (...) L'oeuvre d'art doit être un lieu qui renvoie chacun à sa valeur unique,personnelle, à sa qualité, à sa réalité propre". Guy de Lussigny a été tout au long de sa vie un lecteur de Montaigne. "Les Essais" - cette monumentale et irremplaçable introspection - qu'il lit, relit, annote, dont il recopie des passages seront son principal livre de chevet. "Mon livre est toujours un" écrit Montaigne. L'oeuvre de Guy de Lussigny est toujours une.  Au delà de l’abstraction, au delà  des héritages, des écoles et des mouvements esthétiques, je vois chaque tableau de Guy de Lussigny comme un miroir de sa personnalité.  Ses tableaux, série de portraits codés et secrets,  déclineraient au long des jours et des ans toutes les facettes intimes d’un homme dont la richesse intérieure, l’intelligence, les remous... s’exprimaient librement dans sa peinture. L'art étant la voie de  communication, hermétique et sacrée,  dont les admirateurs détiennent les clefs. C’est pour moi ce qui confère à cette œuvre la richesse de sa lecture et au total un prix infini.

 

Jacques Bouzerand

 

 

 

PS. Le catalogue de la rétrospective du Musée de Cambrai ( 23 octobre 2010 - 6 février 2011 ), tout frais sorti de l'imprimerie,  avec des textes de François-Xavier Villain, Tiphaine Hebert, Marie Lapalus, m'a permis des rajouts à mon papier initial. 

 

ILLUSTRATION :

 

1)  Dolon 290 C 1
Année de réalisation : 1977  Acrylique sur toile. Dimensions de l'oeuvre : 80 x 80 cm

 

2) Garamas 586 bis C II
Année de réalisation : 1984  Acrylique sur toile.  Dimensions de l'oeuvre : 100 x 100 cm

 

 

 

 

 

En savoir plus:

 

Extrait de la page de Wikipedia consacrée à Guy de Lussigny ( voir :   http://fr.wikipedia.org/wiki/Guy_de_Lussigny

 

Expositions personnelles 

Sélection des expositions les plus importantes :


1959 : Galerie Colette Allendy

1974 : Studio Vigevano, Italie ;

1975 : Galerie Annick Gendron, Paris ;

1977 : Galerie Contini, Rome - Galerie Christiane Colin, Paris ;

1979 : La Galerie, Charleroi, Belgique ;

1983 : Galerie Art Stable, Amsterdam ;

1985, 1993 : Galerie Olivier Nouvellet, Paris ;

1986 : Musée Tavet-Delacour de Pontoise

1994 : Galerie Claude Dorval, Paris ;

1995 : Treffpunkt Kunst, Saarlouis, Allemagne ;

1998 et 2000 : Galerie Victor Sfez, Paris ;

2000 : Musée des Ursulines, Mâcon

2001 : Musée de Cambrai

2003 et 2008 : Galerie Gudrun Spielvogel, Munich ;

2009 : Chapelle du Théâtre de Cambrai ;

2010 : Musée de Cambrai - Galerie Gimpel & Müller

2011 : Galerie Gimpel fils, Londres


 

Bibliographie :


* « Spazio e colore di Guy de Lussigny », G. Franzoso et J. Lassaigne, Cat. expo, Studio V, Vigevano (Italie), 1974


* « G. de Lussigny, Traversée des apparences », Catalogue. expo, F. Vitoux, Otto Hahn et autres, Ed. ACD Productions, Paris, 1981


* « Peinture 1977-2000 », Cat. expo, Musée des Ursulines, Mâcon, 2000


* « Collection André Le Bozec », V. Burnod et N. Surlapierre, Petit journal du Musée de Cambrai, Cambrai, 2003


* « L’Abstraction géométrique vécue », catalogue Musée de Cambrai, 2007


* « Art construit- Art concret », catalogue Musée de Cambrai, 2007


* « Lussigny - rétrospective 1952-2001 La couleur à travers le temps », catalogue Musée de Cambrai 2010, édité grâce au mécénat d'André Le Bozec . Et réalisé par lui. Textes de François-Xavier Villain, Tiphaine Hebert, Marie Lapalus.

 

Liens externes:


Art Mémoires


http://www.gimpel-muller.com/


http://Gimpelfils.com

 



14/11/2010
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