Invité: Paul Ros sur Pierre Soulages
Paul Ros, étudiant à Grenoble, m'a fait parvenir ce texte sur sa découverte en grandeur nature de la peinture de Pierre Soulages. J'ai beaucoup apprécié sa façon de voir.
Œuvre nue, œuvre noire
Peut-être que les photographies d 'exposition, sur les catalogues et les livres, ont aidé. Pendant ces longs moments où j'ai observé et admiré le travail de Pierre Soulages exposé au Centre Pompidou, je commençais à sentir une profonde curiosité pour ces œuvres singulières. Du noir sur quelques dizaines de centimètres carrés de papier glacé tout au plus, évidemment. Mais ce dimanche là, au musée de Grenoble, ce fut ma première rencontre avec les grandes œuvres noires du maître ruthénois. Cette œuvre noire si discernable.
Je l'ai abordée par la petite porte en entrant par le côté, parallèle au mur. Dès les premiers regards l'émotion est vive ; un coup inattendu. D'abord les détails, la découverte, l’œuvre dans ses traits minutieux de noir épais, dont le parallélisme approche cette perfection magnifique. Celle de l'artiste qui sait que l'essence de son travail ne réside pas dans la perfection de la forme elle-même mais dans son expression, sa vie donnée par la main créatrice. Par ces irrégularités il façonne le chef-d'œuvre. Le trait est précis, exact, puissant et doux à la fois ; la vigueur s'allie à la légèreté afin de donner vie à ces formes rectilignes qui se chevauchent, se cachent et se confondent.
Puis, je fais un petit écart de quelques degrés par rapport au mur. De là le noir sur noir se teinte, s'illumine. Ce noir qui par nature absorbe tout rayon lumineux nous laisse alors entrevoir quelques chromes étincelants. La peinture se révèle et se réveille par la matière. Devant ce spectacle j'expérimente jouant ainsi à me pencher, me grandir, m'accroupir espérant la découverte de nouvelles couleurs, de nouveaux reflets. Lorsque mes yeux croisent certaines lignes parallèles j'en trouve. Je ne sais pas combien il y en a, sûrement une infinité en somme.
Je m'écarte encore me retrouvant face à ces tableaux imposants. Un puis deux, puis trois, puis quatre. Trop près, je recule. J'y suis, à la bonne distance: l’œuvre m'englobe. Je la perçois enfin comme un tout, comme une entité qui emplit mon champ de vision. Quatre. C'est le nombre adéquat. Un de plus et notre vision est trop étroite, un de moins et elle n'est pas comblée. Quatre grands tableaux de 2m20 de hauteur trônent sur un mur entier, accolés, sans pouvoir le partager. Pour ressentir toute la profondeur de l’œuvre je comprends qu'il lui faut ce monopole de l'espace. Empêcher si ce n'est interdire les interférences avec d'autres œuvres. Il faut y rentrer jusqu'au coeur, se l'approprier pour faire sa connaissance. Les propres mots du peintre prennent alors tout leur sens : « Ce que l'on voit ce n'est pas la peinture elle-même, c'est le reflet de la lumière sur les états de surface de la couleur noire ». Là est la magie de Soulages : créer une œuvre à l'infinité non seulement d'interprétations mais aussi de visions, où chacun crée véritablement sa propre relation à l’œuvre elle- même. Cette peinture apparaît donc comme une œuvre purement existentialiste : elle est ce qu'on en fait. Refusant l'admiration passive, ces quatre grands tableaux invitent à l'interaction. Avec nous-même, avec l’œuvre, avec les autres.
Comme Yves Klein créa son bleu, on pourrait parler du « Noir Soulages ». Un noir brut, puissant et profond. Mais surtout un noir-matière épais, rayonnant et lumineux. Au delà du monochrome.
Il est dur de se détacher de cette œuvre-expérience. Je quitte finalement la pièce, je sors, le ciel est clair.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 20 autres membres