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L'Affiche : un marché solide et sans à coups ( 2002 )

L'Affiche : un marché solide et sans à coups

                
On connaît sans doute mieux les visuels que leurs auteurs. Les fameux Frères Ripolin armés de pinceaux, Thermogène crachant le feu ou bien Dubo, Dubon, Dubonnet ont surgi dans le temps, placardés sur les murs de la France entière et demeurent dans les mémoires. Dessinées par les plus grands noms : Steinlen, Chéret, Mucha, Cassandre, Cappiello, Paul Colin, Loupot, Savignac ou Morvan, les affiches, vues par des millions de citoyens, n'ont qu'une existence murale éphémère. Mais elles ont toujours eu quelques milliers d' aficionados, de sérieux collectionneurs qui se les arrachent. Un vrai marché international existe et se densifie, servi par des marchands, des experts qui déclinent les grands sujets: spectacles, du cirque au cinéma ; sports, du vélo au golf; commerce, du dentifrice à l'ordinateur etc.. La Gazette de l'Hôtel Drouot relève chaque année une bonne trentaine de belles ventes en France. Dont une dizaine en automne. Et à Paris, un des centres mondialement appréciés de ce marché, quelques experts très impliqués de longue date s'activent. Ils réussissent à rassembler et à offrir une marchandise de plus en plus rare mais dont la valeur ne subit pas de grosses variations.

        La Vache enragée de Toulouse-Lautrec

Florence Camard, pour la maison de ventes aux enchères Camard, organise annuellement en juin et en décembre des ventes de prestige et, au cours de l'année, des vacations plus précisément consacrées aux affiches de voyage et de tourisme. Autour de 200 lots sont présentés chaque fois. La dernière vente "Voyages" , le 14 octobre, à Drouot Richelieu, sous le marteau de Me Yann Le Mouel, a été achetée à 75 % pour un résultat de 83 000 euros. La plus haute enchère - 2 800 euros- est allée au Grand casino municipal de Saint-Malo par Péan, de 1905, suivie, à 2600 euros, de l'affiche pour le Golf de la Soukra (Tunis), de Broders, en 1932 et de celle pour l'Aéropostale de la Côte basque par avion, de création anonyme, vers 1930. Curieusement la belle affiche de Majorelle, Le Maroc par Marseille, de 1926, n'a pas trouvé preneur. Pour sa prochaine vente de prestige, très Belle époque, en décembre, où chaque affiche vaudra au moins 15 000 euros, Florence Camard, pour qui la France a toujours été le pays de l'affiche, présentera deux Toulouse-Lautrec :  La troupe de Mlle Églantine et La Vache enragée, très rare puisque sur un tirage de 300 exemplaires la moitié a brûlé. Au programme aussi Loupot, pour les Tracteurs Austin; Chéret, Grün ( pour le Cinématographe Pathé), Pal pour le 1er meeting aérien en Angleterre…

La stratégie du marchand Frédéric Lozada est très différente.  Lui, joue plutôt sur le nombre. Chaque année il organise trois ventes massives en février, mars et octobre. Et une vente spéciale en décembre d'un millier de lots. La dernière s'est déroulée voilà quelques jours.   Les 26 et 27 octobre, sous le marteau de Mes Perrin-Royère-Lajeunesse, il mettait en vente à Versailles plus de 2000 affiches de 1880 à 2000. Affiches, mais aussi gouaches et dessins sur tous les thèmes de collection: publicité, voyages, régions de France, locomotion, Art Nouveau, Art Déco, orientalisme, mode etc. Les estimations variaient de 150 euros à 4 000 euros pour l'essentiel. Les invendus furent légion. La prochaine vente, plus choisie, se déroulera les 11 et 12 décembre à Lille sous le marteau de Me Wattebled.  500 affiches provenant d'une collection dont plusieurs de Cassandre ( Chemins de fer, Air Orient ) qui pourraient atteindre de 9 000 à 15 000 euros, ou plus, chacune. Une des bonnes fortunes de Frédéric Lozada a été la découverte voilà quelques années de plus de 5 000 affiches de la Sncf jetées à la benne à ordure parce que  devenues démodées et inutilisables par la Direction de la Communication du grand transporteur national. Une aubaine. Chacune de ces affiches intéresse les amateurs qui n'hésitent pas à les payer un bon prix.

                Le cochon d'Andy Warhol

Franchissons l'Océan. Pour gagner sa vie et payer ses études à l'université de Columbia à New York, Jack Rennert au début des années 60 avait trouvé un petit boulot chez un imprimeur. Comme il s'intéressait aussi à la publicité, il fut immédiatement passionné par l'affiche et sa stratégie. " L'affiche, dit-il, c'est un problème à résoudre : vendre un produit par exemple, et une solution. Ce que j'aime c'est comparer les différentes solutions graphiques apportées par différents artistes à un même problème. Et il y a l'art en plus !"
Etudiant, Jack Rennert commence donc à collectionner les affiches. Sans en payer une seule pendant les dix premières années. Mais il faut alors passer des coups et des coups de téléphone aux imprimeurs, aux artistes, aux agents de publicité pour récupérer quelques exemplaires convoités. En 1964, il passe à la vitesse supérieure en faisant de la collection d'affiches son métier. " J'ai pris modèle sur le grand marchand français Edmond Sagot, l'un des pères de l'affichomanie, qui avait mis au point sa méthode 70 ans plus tôt (et qui a publié son premier catalogue d'affiches en 1895). Il allait dans les imprimeries chargées de tirer des affiches. Il disait à l'imprimeur : vous devez tirer 400 affiches de tel artiste. Tirez en 100 de plus pour moi. Je vous achète chacune 1 franc. Sagot les revendait 3 francs dans sa galerie. Elles valent aujourd'hui 30 000 dollars." D'autres marchands, Pierrefort, Arnould (dont un catalogue fut conçu par Toulouse-Lautrec), on fait de même. Bon élève avisé, Jack Rennert s'y est pris de façon similaire. Un jour, dans les années 70, il apprend, en suivant de près les informations du milieu, qu' Andy Warhol va réaliser une affiche pour RCA. La firme veut présenter sous forme de placards de 76 sur 114 cm, un nouveau scanner de couleur pour les imprimeurs. L'idée  de l'agence de publicité J.W.Thomson est de faire peindre par Warhol des fleurs sur un cochon rose tirelire avec un slogan : "Pretty as a pigture". RCA dûment interrogée autorise Jack Rennert à acheter des suppléments de tirage. Chaque affiche ainsi tirée à la marge lui coûte 50 cents, il la cède pour 2 dollars aux revendeurs qui en obtiennent 4 dollars. Jack Rennert a vendu au total 20 000 exemplaires. Chacun cote aujourd'hui 500 dollars. Quand on en trouve.

            L'envie des philatélistes

Aujourd'hui Jack Rennert porte plusieurs casquettes. Président de Poster Auctions International, il organise 2 fois par ans à New York depuis dix-huit ans des ventes de 5 à 600 affiches de collection pour chaque fois plus d'un million de dollars. Soit chaque année un chiffre d'affaires de 2,5 millions de dollars. Chaque affiche présentée vaut au moins 1000 dollars. La dernière vente, le 10 novembre proposait par exemple Le thermogène de Cappiello (1907), estimée de 4 à 5 000 dollars; La revue nègre de Paul Colin de 1925 estimée de 80 à 100 000 dollars ou Le Moulin Rouge/La Goulue de Toulouse-Lautrec (1891) estimée de 100 à 120 000 dollars. Sa deuxième casquette est celle d'un  négociant d'affiches avisé auquel ont recours les collectionneurs, amateurs, entreprises, musées… " Posters please " compte parmi ses clients Ivan Lendl, oui le champion de tennis, fanatique de Mucha dont il détient la plus belle collection au monde. Les autres artistes ou thèmes les plus recherchés? Jules Chéret, Cassandre, le Cirque, le Vélo…Jack Rennert vient chaque mois à Paris depuis plus de trente ans pour y faire son marché: " Les meilleures affiches de 1880 à 1980 sont françaises assure-t-il. La qualité demeure haute en France et en Suisse. Les Américains les apprécient beaucoup. Notre problème n'est pas de les vendre mais d'en acheter". Jack Rennert, auteur de nombreux livres sur les affichistes et leurs thèmes les plus divers, établit des catalogues raisonnés ( Mucha, paru; Colin; Cappiello, en préparation..). Il contribue par ses connaissances à cet engouement pour l'affiche. Sa troisième casquette est celle du collectionneur. Il possède plus de 50 000 affiches, sans doute la plus grande collection personnelle au monde. Un encombrant trésor qui prend beaucoup de place, même rangé dans des tubes et entreposé à New York et dans le New Jersey. " Parfois, plaisante-t-il, j'envie mes amis collectionneurs de timbres…"  Il souhaite créer à New York, " centre mondial de l'art, de la communication , de l'imprimerie", une fondation et un musée l'International Poster Museum.
Mais cette réussite n'a pas fait tourner la tête de Jack Rennert." Avec 4 millions de dollars de chiffre d'affaire, je ne compte que pour 4 pour cent dans le marché total de l'affiche de collection."

A New-York, par exemple, une autre entreprise, Swann, s'épanouit dans le même univers. Elle est conseillée par le Français Alain Weill, expert en art contemporain,  qui a écrit de nombreux livres de référence sur le sujet (  dont L'affiche dans le monde, chez Somology; Les maîtres de l'Affiche 1900 à la Bibliothèque de l'image…) Il est également l'ancien délégué général du Festival de l'Affiche de Chaumont. " La dernière vente de Swann, Posters Art Nouveau, le 9 octobre, a fait 418 000 dollars pour 113 numéros présentés dont 85% ont été vendus. L'affiche pour les Cycles Perfecta de 1902 par Mucha y a atteint 20 000 dollars. Et pour 22 000 dollars chacune sont parties l'affiche pour La clinique Chéron de 1905 par Steinlen et l'affiche pour le magazine Frou Frou de 1900 par Weiluc.  Swann organise ainsi régulièrement de petites ventes ciblées d'une centaine de lots et deux ventes plus larges et plus massives de 350 à 400 numéros ", explique Alain Weill.
Pour cet expert, le marché de l'affiche de collection est déjà très structuré: " C'est un marché à peu près " fait ". Le gros de la clientèle est américain.  80 % des acheteurs font d'abord de l'affiche un objet de décoration et non de collection ou de spéculation. Les prix n'évoluent pas beaucoup. Mais la bonne marchandise se raréfie."





Encadré 1

Cinq conseils à un débutant

1)Se spécialiser. Trouver un sujet en rapport avec ses passions ( le voyage, le sport, le cinéma, le rock…), son métier ( pharmacien, militaire…), un artiste, un style, un pays…
2) Faire la différence entre affiche de collection et reproduction. Même si l'effet décoratif est approximativement le même, une reproduction n'a ni l'intérêt ni la valeur d'une affiche originale. Qu'elle ait été tirée à l'origine à 500 exemplaires ou à 100 000 exemplaires l'affiche "originale" est inégalable..
3) Voir les musées ou les collections comme celle de la Bibliothèque Forney, du muséé des Arts Décoratifs ou de la Bibliothèque Nationale au fonds impressionnant. Consulter les experts ( comme Florence Camard ) et les marchands qui connaissent les bons gisements. L'International vintage poster dealers association regroupe 80 marchands dont 40 américains et 30 européens. Ne pas oublier les livres comme, par exemple, " Le collectionneur d'affiches "( par Laurence Prod'homme, éditions Apogée/musée de Bretagne), qui détaille l'inestimable  collection de Louis Métaille léguée en 1933 au Musée de Bretagne. 4) Faire entoiler large de façon qu'au rangement on ne touche que la toile sans risquer d'endommager le papier très fragile. Eviter absolument de réparer soi-même une affiche avec un ruban auto adhésif qui pourrait détériorer définitivement le support.
5) Conserver à l'abri de l'humidité, de la poussière et de la lumière, dans des tubes de carton ou à plat dans des meubles spécialement conçus.

Encadré 2

La gouache mystère de Cappiello

Dans la collection New Yorkaise de Jack Rennert figure une gouache qui intrigue beaucoup le grand collectionneur américain. Cette gouache originale ( valeur: 22 000 dollars) représente le personnage emblématique de Beaumarchais armé d'une immense plume d'oie. C' est un projet très élaboré d'affiche pour Le Figaro. Mais Jack Rennert qui a mené d'attentives recherches ( y compris à la Bibliothèque Nationale, dépositaire des affiches éditées en France) n'a jamais rencontré l'affiche qui aurait dû être tirée. Question: cette affiche a t-elle existé? Quelqu'un en connaîtrait-il un exemplaire? Sinon pourquoi n'a t-elle pas été publiée alors que Cappiello est allé si loin dans sa préparation? Toute réponse est bienvenue et sera transmise à Jack Rennert.



Publié par Le Figaro   ( 2002 )


02/10/2009
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