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Le corps au centre de l'art ( 2001 )

Le Corps au centre de la création artistique
 
 
Le corps de l'homme et celui de la femme constitue sans doute une des premières images nées de l'art. Juste retour de politesse au fond...Dans les cavernes préhistoriques, des grottes Chauvet à celles d'Altamira, à côté des bisons, des ours, des chevaux... les premiers artistes de l'humanité, voilà trente, quarante mille ans ont déjà figuré sur les parois des humains, leurs semblables, leurs frères. Courant, chassant, exposés...Vénus de Willendorf, homme de Brno, Vénus de Brassempouy, de Lespugnes...Sculptés voilà de trente à trente cinq mille ans...La tradition ancestrale, sans doute génétiquement transmise , ne s'est jamais vraiment interrompue,  sauf dans les civilisations où cette re-création sera considérée comme impie, blasphématoire, attentatoire à la divinité  et interdite par la religion et ses représentants. Ailleurs, en Occident notamment, lors de certaines périodes, parfois de longue durée, cette inspiration a été masquée par d'autres tentations. Elle s'est évanouie, ou tout au  moins estompée. Ne subsistant qu'en filigrane. Ainsi, l'art abstrait, dans certaines de ses manifestations, peut être considéré comme une manière radicale de nier le corps ou de s'en éloigner au maximum. Mais voilà que l'art d'aujourd'hui revient avec une force incroyable à cette représentation . Bacon, Picasso, Matisse, Klossowski, Botero, Mapplethorpe, de Kooning, Paul MC Carthy, Ariane Lopez-Huici, Jeff Koons... Cent autres. Le corps dans tous ses états est devenu l'obsession centrale de l'artiste.
 
Ce n'est pas un hasard si un des grands spécialistes de l'art contemporain, maître de conférence à l'université de Picardie Jules Verne d'Amiens, Paul Ardenne,  publie en ce moment précisément aux éditions du Regard une somme importante, documentée et illustrée: " L'image corps, figures de l'humain dans l'art du XXème siècle " " Le traitement artistique du corps propre au 20 ème siècle se révèle concordant aux accidents symboliques majeurs alors enregistrés par l'histoire: 1-abandon quasi définitif de la conception du corpus d'essence divine; 2-croissance du matérialisme, qui élargit la voie aux théories de l'" homme-machine", base d'une relation plus technique qu'éthique au corps; 3-crise profonde, et sans doute irréversible, de l'humanisme, que précipitent les tragédies de l'histoire, à commencer par la Solution finale et la mise en place par les nazis d'une industrie de la mort planifiée. La représentation artistique du corps, pour l'essentiel, décalque cette évolution " écrit Paul Ardenne qui cite comme exemples le corps fragmenté du cubisme (années zéro ), le corps désertant le tableau des actionnistes ( années 60 ), le corps synthétique ou dématérialisé de l'âge virtuel de l'art ( année 90 ).
 
Il serait présomptueux de vouloir décrire et classifier toutes les ramifications du système artériel de la créativité inspirée par le corps dans sa gloire éphémère.  Entre l'esthétique et l'érotique, entre le symbolique et le pornographique, entre le jubilatoire et la dérision...tout est possible.
 
Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait nouveau. Cet été au Donjon de Vez, dans l'Oise, l'exposition " le corps mis à nu ", a retracé à travers la sculpture le parcours de l'art corporel au siècle dernier, et encore très récent. Ossip Zadkine, le grand Russe avec ses figures tragiques y cotoyait les nus plantureux et opulents de Maillol ou Laurens. Moore et ses rondeurs abstraites contrastait avec les rudesses de César les drôleries de Niki de Saint Phalle et de sa Nana foulant à ses pieds un globe terrestre incrusté de verroterie. La "Princesse X " de Brancusi rappelait son ambiguité et Yves Klein avec sa Vénus Bleue trônait dans son Empire d'Azur.
 
On est loin au demeurant de la facture classique et sage d'un Henri Bouchard ( 1875-1970 ) très représentatif de ce qu'a pu être l'art figuratif de l'entre deux guerres et dont on connaît, sans toujours savoir qu'il en est le père, l'Apollon de bronze de 6,50 m. s'imposant sur la terrasse de Chaillot, face à la Tour Eiffel. Une sculpture de 1937. Visibles au musée Bouchard, rue de l'Yvette, dans le XVI ème arrondissement son bas relief Football et son Coureur noir s'inscrivent à la jonction de l'art et du sport. Comme les baigneurs, les acrobates, les boxeurs de Roger de La Fresnaye. Ou plus près de nous les baigneurs de David Hockney, le Footballeur et la Princesse de Didier Chamizo, l'unes des toiles de la grande exposition organisée autour du Mondial de Football en 1998 par Enrico Navarra dans sa galerie de l'avenue Matignon.

Le thème du sport, à proprement parler, avait en son temps intéressé Fernand Léger dont on se rappelle le tableau, réalisé à New York, " Cyclistes et plongeurs" de 1944. " Il s'incorpore, écrivait le peintre dans une série d'intention dynamique qui m'a été suggérée par le sujet même. ( Après un premier dessin d'étude de plongeurs réalisé à Marseille ) Il n'a pu être fait qu'après observation ( à New York) du mélange des formes humaines produit par un nombre considérable de corps tombant dans tous les sens comme il est courant dans ce pays. En France 6 ou 10 personnes plongent. A New York, ils sont 50 et le choc usuel est décuplé, centuplé par le nombres qui réalisent un dynamisme infiniment plus violent. Ce sont des fragments accumulés qui tombent dans l'espace sans savoir si logiquement la tête appartient aux bras ou aux jambes. Si l'on veut raisonnablement dessiner les proportions humaines tout s'arrête, et rien ne bouge plus, rien ne tombe plus." Le sport comme inspirateur. Comme détonateur.
 
Questionné par Alain Berland pour Post, feuille périodique consacrée à l'actualité de l'art contemporain, Frédéric Coupet, dont les oeuvres étaient exposées au Frac Champagne-Ardennes de Reims cet été,  raconte comment dans son travail il a un temps utilisé son corps pour qu'il devienne " symbole " au même titre qu'une affiche, une toile etc. " J'ai commencé en 1991, lorsque j'ai converti la galerie Pailhas à Paris en salle de musculation et que je m'y suis entraîné tous les jours de 16h à 18h, pendant six semaines.L'intérêt n'éyait pas de passer pour un culturiste mais de me conformer au titre de l'exposition: "art, action de fortifier le corps ".
 
De longue date, le jeune peintre Vincent Corpet s'est attelé à une exploration des mille et une variations sur le corps. Déjà, voilà quelques années, son exposition au Beaux arts, quai Malaquais à Paris, de sa série d'une centaine de dessins inspirés des Cent vingt journées de Sodome du Marquis de Sade entrait magistralement dans cette voie. Plus récemment sa série de portraits en pied de grands nus ( exposés chez Daniel Templon ) creusait le sillon.
 
Georges Condo, artiste américain né en 1957, installé à Paris, a récemment présenté, avenue Matignon, à la galerie Jérôme de Noirmont, sa toute récente série de tableaux: " Abstraction Physionomique ". Le corps règne. C'est une ré-appropriation ironique de l'histoire de la peinture et sa transcription dans un langage pictural très personnel. Et à travers les personnages dont le corps est parfois transformé en celui de mannequins métaphysiques, s'installe un discours qui renvoie à l'absurde et à la dérision. Un thème éminemment contemporain mais  dédramatisé par le sourire et le questionnement qu'introduit la référence à l'imagerie populaire de la B.D et des extra terrestres.
 
Le corps s'impose aussi centralement dans la peinture de Stéphane Pencréac'h une des découvertes de l'artiste Fabrice Hybert. " Il s'agit d'une peinture qui met l'accentnon pas sur un sujet supposé original, mais revendique au contraire l'expression d'affects universels- amour, sexe, violence, mort- au moyen d'un système formel issu d'une étude approfondie de l'histoire des formes " en écrit Richard Leydier. Le corpds en mouvement et pour Pencréac'hun moyen exponentiel et inépuisable de découvertes de formes. L'homme en est l'enjeu primordial et pou aller au bout de son expression l'artiste n'hésite pas à dépasser jusque sur le mur les limites de sa toile, à la planter de clous, à la découper, à la percer de coups de poignards et même à la parfumer. Une violence créative au service d'une recherche inquiète. C'est dans ces alentours que se situent les nus enfouis dans leur gangue somptueuse d'Eugène Leroy, ceux de Luc Rigal explosant en pleine nature, ceux de Serge Gisquière, Gis, à la sensualité exacerbée...


 
A l'opposé voici le domaine de la contemplation. L'exposition par la Fondation Cartier pour l'art contemporain des photographies d'Alair Gomes, philosophe et critique d'art brésilien né en 1921 à Valença, mort en 1992 à Rio de Janeiro éclaire doublement un des chemins de l'art du corps. A la fois par le choix, en 2001, des responsables de la Fondation Cartier de mettre cette oeuvre en évidence et de la glorifier et aussi par la décision de l'artiste de se consacrer exclusivement à partir des années 1970 à la photographie de jeunes gens. 170 000 clichés dédiés à une fascination visuelle exclusive. Le tout mis en ligne, mis en scène comme des partitions musicales avec leurs mouvements: symphonies, opus, sonatines...Ses compositions sont  rigoureuses, harmonieusement organisées." Dans cette rigueur pointent toujours la poésie, l'attention au détail, la certitude de la nécessité de sens, le refus de l'anecdote qui fondent une oeuvre singulière, écrit Christian Caujolle, critique et directeur-fondateur de l'Agence Vu dans un des textes de présentation du catalogue ( Actes Sud- Fondation Cartier ) Une oeuvre inclassable aussi. Contemporaine d'un Pop Art dont elle connaît bien les foctionnements en série, questionnant la place de la photographie dans le champ des arts visuels, la versant dans le dialogue avec musique et cinéma, fondée sun un désir personnel mais ne revendiquant pas de place particulière ou de reconnaissance pour les homosexuels, elle est à l'abri des étiquettes. Elle se donne pour ce qu'elle est: une cohérence plastique, fondée sur des convictions éthiques et, ce qui est parfaitement exceptionnel, accompagnée d'une réflexion théorique irréprochable."
 
Les techniques, les moyens d'expression, influent considérablement sur le langage et sur le discours qu'il contient. Deux des poulains de Jacqueline Rabouan-Moussion dont elle présente cette année les trouvailles à la FIAC, porte de Versailles, ou dans sa galerie, rue Vieille du Temple, participent de cette rhapsodie du corps. Avec ses installations vidéo et son personnage gaguesque, lui-même, mis en scène et en difficultés tout au long de piécettes clipées, Pierrick Sorin a su en queques années devenir un des incontournables du panorama artistique. Les institutions et les collectinneurs se l'arrachent. Oleg Kulik, un Ukrainien, né à Kiev en 1961, poursuit, à travers des performances, c'est à dire en jouant avec son corps, une tentative beaucoup plus brutale et parfois dérangeante. Poulet parmi les poulets il s'était ainsi lors de la FIAC 2000 enfermé dans un volière sous l'oeil des visiteurs qui auraient pu lui donner du maïs. On l'a vu aussi, d'autres années, devenir chien , devenir oiseau, député, missionnaire,  voler dans les airs suspendu à des cables, ou poisson dans un immense aquarium hanté par les fantasmes d'Alice au Pays des Merveilles et de Lolita. ...Dans chacune de ses expériences Kulik à la fois utilise son corps aux dernières limites et le trangresse dans ses fonctions.
 
Depuis Courbet et son Origine du Monde le corps dans sa nudité la plus crue ne fait plus peur à l'artiste. La société a aujourd'hui aisément embrayé sur cette tolérance et même elle en redemande. La publicité dont on a vu fleurir ces derniers temps des bouquets de créations que la presse a qualifiées "porno-soft"a parfaitement compris le message. " Les image corps les plus saississantes du 20 ème siècle n'appartiennent pas au domaine de l'art, celui-ci s'échinerait-il à les imiter? "se demande Paul Ardenne dans son livre. Il serait dommage que les artistes soient incapable de prouver qu'ils sont toujours les pionniers.


( Publié par NBT  -2001- )


01/10/2009
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