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*"Leo Castelli et les siens" par Annie Cohen-Solal

« Leo Castelli  et les siens » par Annie Cohen-Solal (Gallimard)

 

 

Je viens de terminer la lecture roborative du  livre d'Annie Cohen-Solal  consacré à Léo Castelli, le galeriste américain qui a découvert et lancé, de Bob Rauschenberg à Jasper Johns, tous  les artistes américains les plus célèbres et les plus importants de la génération 1960-1980. Publié chez Gallimard, dans la collection «  Témoins de l'art » dirigée par Jean-Loup Champion, cet ouvrage de 560 pages ( dont près de 50 de notes, bibliographie, index…),  imprimées en petits caractères,  est  un objet tout à la fois passionnant et étrange. Il est en tout cas indispensable à quiconque s'intéresse à l'histoire de l'art contemporain, aux sociologues, aux économistes, aux amateurs de belles   figures… Bref, c'est un  « Must » comme l'on dirait chez Cartier ( qui a préempté la formule ).

 

Ce livre est passionnant, oui, car il fait revivre avec 100 000 détails, 100 000 précisions et autant d'anecdotes, le climat politique et celui du marché de l'art international depuis les années 1930 , quand Leo, agent d'assurance  pour la Generali, à Trieste puis à Bucarest, et son épouse Iléana ( né Schapira)  commencent à se familiariser avec l'art et  à explorer la création artistique.  Jusqu'à la mort du vieux lion qui fut Empereur,  en 1999 à New York.  Il avait 92 ans.

 

Voici Leo Castelli, s'engageant en mars 1939 avec l'aide financière de son beau-père Mihai Schapira, dans la création d'une éphémère galerie d'art avec René Drouin, 17 Place Vendôme, à Paris. Puis la guerre, l'exode à New York, la mission militaire à Budapest du sergent Castelli,  son  séjour à Bucarest comme interprète de l'armée américaine, puis  le retour à New York en 1946. Et voici Leo gérant d'une usine de tricots jacquard de son beau-père mais surtout visiteur avide et insatiable du Moma – d'Alfred Barr- et des galeries.  Dans ces périples initiatiques Castelli fait miel de toutes ses rencontres. Avec John Graham qui lui fait rencontrer Motherwell. Avec Clement Greensberg qui le présente à Matta, à Arshile Gorky, qui lui même le présente à Pollock…  On croit rêver en lisant ces noms magiques.

En 1947, via René Drouin, Castelli devient, aux États Unis, la tête de pont de l'oeuvre de  Kandinsky ( mort à Paris en 1944 ) et l'intermédiaire de l'épouse de l'artiste, Nina. C'est l'époque où un Kandinsky se vend 850 $ ( « Stabil »), 1200 $ … Leo en détient à moment donné une centaine (dont quelque unes lui appartiennent )... Un temps, Castelli s'associe avec le galeriste Sidney Janis ( Duchamp, Klee, Mondrian, Léger… ) pour monter des expositions, comme « Paris-New York 1951 » où s'établit un parallèle éclairant ( et éclairé ) entre les artistes du vieux continent ( Dubuffet, Nicolas de Staël, Soulages, Lanskoy… ) et ceux du Nouvel Eldorado ( De Kooning, Rothko, Kline, Pollock… ).  Depuis 1949, Leo et Iléana  Castelli se sont immiscés dans le groupe d'artistes  encore faméliques de la nouvelle génération qui se réunissent au "Club", 39 East 8th Street . Il y a là Kline, De Kooning, Reinhardt, Rauschenberg et une vingtaine d'autres jeunes gens qui ne survivent que pour l'art, créent, se visitent, se commentent l'un l'autre, discutent. Il ne sont encore "rien". Le 21 mai 1951, Leo participe activement à leur première exposition 60 East 9th Street... "E la nave va..." Le 3 février 1957 Leo Castelli ouvre dans son appartement new-yorkais sa première galerie 4 East 77. Pollock et Delaunay, De Kooning, Hartley, David Smith… confrontés à Mondrian, Picabia, Léger, Giacometti… Mais bientôt, Leo Castelli va se centrer sur les artistes américains.   Et d'abord Jasper Johns dont l'œuvre est pour lui comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Une révélation.  Puis Bob Rauschenberg (qu'il a bien du mal à vendre dans les débuts). 

 

De 1958 à 1981, Leo s' établit dans d'autres espaces :  420 West Broadway ; 142 Greene Street… Et il montre,  en découvreur souvent,  selon la liste établie par Annie Cohen-Solal, tout ce qu'il y a de plus  icroyablement novateur aux États Unis : Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Frank Stella, Cy Twombly, Lee Bontecou, Roy Lichtenstein, John Chamberlain, Andy Warhol, James Rosenquist, Donald Judd, Christo, Edward Higgins, Robert Morris, Joseph Kosuth, Dan Flavin, Keith Sonnier, Richard Serra, Richard Artschwager, Ed Ruscha, Claes Oldenburg, Lawrence Weiner, Ellworth Kelly, Hanne Darboven, Kenneth Noland, James Turrell, Julian Schnabel, David Salle… Et aussi, je cite encore :  Garouste, Buren,  Combas ( et non Combaz comme écrit dans le livre ),  Lavier, Raynaud… Excusez du peu. Tout l'art contemporain est là. Considéré comme trop avant-gardiste par les critiques traditionnels Leo réplique par une belle formule qui mérite d'être retenue: «  L'art nouveau ne menace jamais le passé, il ne menace que le présent qui est déjà passé . »

 

Leo Castelli réussit même le grand exploit lorsque son poulain Bob Rauschenberg obtient le 19 juin 1964 le Prix de la Biennale de Venise. Deux jours auparavant Alan Solomon, directeur du Jewish Museum de New York et commissaire de l'exposition américaine à Venise, ami de Leo,  avait déclaré : «  New York a remplacé Paris comme centre du monde de l'art ». C'était scandaleux et prophétique.

 

Iléana Sonnabend ( qui a épousé Michaël Sonnabend après son divorce à l'amiable avec Leo ) a ouvert de son côté une galerie à Paris en 1962,  37 quai des Grands-Augustins. Elle y expose naturellement Rauschenberg. Elle s'installera ensuite 12 rue Mazarine et montrera après « les artistes de Leo » ( qui étaient aussi pour beaucoup les siens )  "ses" artistes comme Pistoletto, Boltanski, Sarkis, Kirili, les Poirier, les Becher, Gilbert & George… Rejoints en 1968 par Antonio Homem ( qui deviendra le fils adoptif des Sonnabend ) Iléana et Michaël quitteront définitivement l'Europe pour New York en 1980. Cette délicieuse et malicieuse dame y inventera de nouvelles aventures, exposera Jeff Koons, Baselitz  et beaucoup d'autres qui font le sel de l'Art d'aujourd'hui... L'Histoire continuera.

 

Dans cette recension,  j'ai laissé de côté bien des aspects de la carrière de Leo Castelli telle que la narre Annie Cohen-Sola : ses relations avec les musées et leurs directeurs, les critiques et les commissaires d'expositions ; ses relations avec ses collectionneurs ( qui sont des modèles  dans  l'art de la séduction, de l'accroissement du désir d'achat chez le collectionneur, de la vente et des conditions de vente… ), sa réalisation d'un réseau mondial de galeristes alliés parmi les plus précoces et aujourd'hui les plus incontournables comme Shafrazi ou Gagosian aux États Unis ou Daniel Templon et Yvon Lambert en France... L'univers castellien ne se résume pas si aisément. Merci à Annie Cohen-Solal, admise dans le sérail d'en avoir, pour notre plaisir, exploré les détours.

 

J'indiquais plus haut à côté des compliments mérités que j'adressais à l'auteur  que je trouvais aussi parfois ce livre  étrange. J'y reviens. J'ai ainsi omis d'entrer dans le détail des 100 premières pages du livre qui évoquent par le menu le passé familial  des Castelli depuis le XVIIème siècle et qui, à  mon goût, dans ce cadre là, sont bien fastidieuses. J'ai été aussi, quelque fois dérouté par le fil de la narration   toujours complète   du parcours de Leo, parfois chronologiquement embrouillé. Agacé aussi par des renvois à des notes en fin de volume qu'une précision dans le texte aurait évités. J'ai regretté enfin que dans une étude aussi fouillée Annie Cohen-Solal n'ait pas fait place à l'exposition en avril 1961 chez Castelli des « Monochromes » d'Yves Klein   - qui est sans conteste un des phares du XXème siècle artistique-  ni à aucune de celles du Français Bernar Venet. Reste qu'après sept années d'une enquête minutieuse, irremplaçable, sérieuse, à l'américaine, Annie Cohen-Solal a rendu un magnifique hommage à Leo Castelli ( dont j'ai eu le plaisir de partager plusieurs fois la compagnie ). Elle a brossé le portrait d'un superbe  Condottiere de notre temps.

 

Jacques Bouzerand

 

 

 

 

 

 

 



27/12/2009
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