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Louvre : Le ciel Giotto de Cy Twombly


 

 

 

 

 


Louvre : Le ciel Giotto de Cy Twombly

Le Louvre, qui fut le palais de Louis XIV, vient de s’offrir un luxe inouï : un plafond peint par l’artiste américain Cy Twombly. Ce plafond est celui de la Salle des Bronzes antiques, un salon tout en longueur, construit sous Louis XVIII, dans l’aile Lescot, nommée aussi aile Sully, d’une superficie de 400 m2. Il est situé au premier étage, à côté du salon Henri II, orné d’un plafond peint par Georges Braque en 1953. 

Cy Twombly, âgé de 82 ans, y a travaillé dès 2006, lorsque la commande lui a été passée par le Louvre où quelques années plus tôt, en 1996, lui avait été décerné reçu le Prix « Praemium Imperiale », sorte de Prix Nobel de l’Art. Cy Twombly a offert sa création au Louvre. Sa réalisation qui a coûté 1,2 million d’euros, a été financée par le mécénat de Janet Wolfson de Botton en mémoire de son mari, le financier Gilbert de Botton, et avec le soutien du galeriste américain Larry Gagosian. 

D’emblée, Cy Twombly a conçu l’ensemble : un vaste espace central bleu avec en bordure des cercles de couleurs différentes, rappel des boucliers grecs exposés dans la salle et des cartouches rectangulaires portant en lettres capitales grecques les nom de sept sculpteurs actifs au Vème et IVème siècles avant Jésus-Christ : Céphisodote, Lysippe, Myron, Phidias, Polyclète, Praxitèle, Scopas. La première esquisse de ce plafond, « The Ceiling », mesure 111,9 cm sur 48,2 cm.

Cy Twombly raconte avoir tracé cette maquette, en Virginie, en se servant d’une bouteille ou d’un verre pour dessiner les cercles. La peinture du plafond, à l’huile et à la cire pour assurer sa matité, a été réalisée sur onze lès, dans un atelier loué par le musée national à Montreuil. Elle a ensuite été marouflée. Cy Twombly a contrôlé sur place ou de loin chaque étape de la réalisation, bien sûr. Il est revenu à Paris, le 23 mars, pour son inauguration, comme en catimini, quittant presque à regret son petit hôtel parisien de la rive gauche où il s’abrite avec fidélité depuis toujours à chacune de ses (trop) rares visites dans la capitale française. 

Dans sa discrétion, Cy Twombly n’a pas accordé d’interview explicative, sauf quelques mots lâchés à Philippe Dagen du Monde et à Valérie Duponchelle du Figaro. Il est vrai qu’il avait dérogé à son silence légendaire pour parler longuement avec la commissaire, Marie-Laure Bernadac, conservateur général, chargée de mission pour l’art contemporain au Louvre. Le texte de l’interview - passionnant -figure in extenso dans le catalogue, édité à l’occasion de l’installation du plafond, dirigé par Marie-Laure Bernadac et coédité par le « Musée du Louvre éditions » et les « Éditions du Regard ». 

L’évidence de ce plafond, le choc initial, est sa couleur dominante: le bleu. Un bleu qui n’est pas celui d’Yves Klein qui s’était accaparé, voilà plus de cinquante ans, le ciel comme territoire, ni exactement le bleu fréquent de Matisse ou un bleu d’estampe japonaise qui parfois se nuance de pourpre. « Ce bleu n'est pas le bleu du ciel, ni celui de la mer, ni celui de la Grèce. J’ai d’abord recherché le bleu de la peinture. Un bleu simple et plein, entre le bleu de cobalt et le lapis-lazuli, le bleu de Giotto » dit Cy Twombly. Une quarantaine de cercles, entiers ou s’éclipsant un peu, de couleur beige, ocrée, presque blanche, bleue sombre… forment à la périphérie du vaste rectangle comme un collier de perles magiques. Et comme des plaques d’identité, les cartouches blancs siglés en lettres bâton de l’alphabet grec, vaguement tremblées, des sept patronymes révérés viennent compléter le dispositif du ciel twomblyien du Salon des Bronzes.

Ce n’est pas Cy Twombly qui donnera les détails de la signification de cette œuvre magistrale et pérenne. Tant mieux. Chacun, nourri de sa propre culture et de sa propre sensibilité, peut activer son discours personnel, intime, secret, et lui donner libre cours. Toute l’œuvre de Cy Twombly est ainsi. Ouverte. Et c’est ce qui en fait l’une des plus puissantes de l’époque et de l’histoire de l’art.

Dès ses premières œuvres, Cy Twombly a privilégié ainsi le non-dit et le suggéré glissé. Le presque rien qui explose dans le ressenti. Il n’a jamais forcé la main à quiconque, ni à lui même. Sa peinture est une œuvre de liberté. On le perçoit dès les années 45-46. Il est encore sous l’influence pédagogique et artistique de Pierre Daura, peintre espagnol ou plutôt Catalan, réfugié à Lexington ( Virginie ) ( avant de revenir vivre en Europe, à Saint-Cyr Lapopie dans le Lot où s’installe aussi André Breton ), dont il suit les cours de 1942 à 1946 et qui lui a fait découvrir les nouveaux chemins de la peinture en Europe. Mais Cy Twombly fait siens ses gestes créatifs et fait miel des accidents de crayon ou de pinceaux, des imprévus, du non fini. Les traces des moments transparaissent jusqu’à la surface sans être niés, sans être explicités. Mais ils participent au spectacle. Comme une mémoire. Comme dans la musique, le souvenir de la note précédente qui continue à colorer la suivante. Une rumeur enveloppante. Une harmonie qui se constitue. 

À dire vrai, Cy Twombly crée comme un poète. La musique de sa peinture requiert l’attention comme la musique des mots des grands poètes et philosophes qu’il fréquente car il est des leurs. Homère, Platon, Virgile, Keats, Mallarmé… s’inscrivent, parfois en toutes lettres sur ses tableaux. Pas étonnant, comme il le révèle à Marie-Laure Bernadac qu’il se passionne actuellement pour les textes du Français Saint-John Perse et son « Anabase » de 1924, qui écrit : « À nos chevaux livrée la terre sans amande nous vaut ce ciel incorruptible. Et le soleil n’est point nommé, mais sa puissance est parmi nous et la mer au matin comme une présomption de l’esprit ». Cy Twombly précise qu’il va utiliser ce texte pour une grande peinture à laquelle il travaille. Ce sera un superbe poème.

JB  Mars 2010

 

 

 


Illustration Au Musée du Louvre



06/07/2011
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