Meubles régionaux : la qualité d’abord ( 2004 )
Meubles régionaux : la qualité d’abord
C’est un genre nouveau de course au trésor où les chasseurs sont de plus en plus nombreux et le gibier de plus en plus rare. Cette chasse se livre dans les magasins des antiquaires, dans les salles de vente où La Gazette de Drouot aide à traquer les plus belles pièces, aux Puces de Saint-Ouen ou dans les brocantes les plus relevées. Mais la compétition est désormais sévère entre chasseurs français et chasseurs internationaux : Américains, Allemands, Britanniques, Belges, Italiens…Pour tous, il s’agit de trouver les plus beaux meubles anciens régionaux, d’origine provençale ou normande, bourguignonne ou lyonnaise, bressane ou bretonne…Et, naturellement, l’affluence des chalands fait monter les prix.
Pour dire vrai, on revient de loin. A preuve, cette citation extraite d’un vieux livre trouvé à la 16 ème Foire Internationale du Livre Ancien qui se tenait du 13 au 16 mai à la Maison de la Mutualité à Paris. Dans cet ouvrage intitulé « L’ art de reconnaître les meubles », publié chez Gründ en 1924, Emile-Bayard, spécialiste des Beaux-Arts, fort renommé à l’époque, écrit : « La source provinciale est suspecte et l’étiquette ne consacre pas la beauté. La signature seule constitue une preuve…et encore ! » Pourtant, en devancier, cet érudit tente déjà d’attirer l’attention de ses contemporains sur les mobiliers régionaux. « En dehors du meuble essentiellement de style, le meuble paysan doit retenir notre attention. Celui-là suit les styles avec une désinvolture d’un pittoresque fort attrayant. Il respecte, comme toujours, les grandes lignes ; toutefois, son décor naïf, sa sculpture gauche, lui prêtent un caractère, une saveur non plus imputables à une école , mais à un sol. » Et, plus global, d’ajouter : « On ignorait la camelote aux temps passés ; la preuve en est que les meubles ont résisté aux siècles, matériellement autant qu’esthétiquement. » Ouvrez les yeux ! conseille-t-il en somme à ses contemporains d’il y a quatre-vingts ans.
Le meuble « paysan » n’est pas le seul à avoir subi longuement cet ostracisme ou cet aveuglement du public. Même les mobiliers les plus raffinés, sortis des ateliers des plus grands ébénistes aujourd’hui adulés et hyper-cotés, ont longtemps été tenus pour peu de chose. Vincent Noce, auteur chez Jean-Claude Lattès, d’un livre très savoureux et plein d’exemples révélateurs, « Descente aux enchères », sous-titré « Les Coulisses du marché de l’art », que tout chineur lira avec profit (et parfois avec effarement, tant les récits de certains abus sont stupéfiants) écrit très justement par exemple :« Longtemps le mobilier français ancien a été négligé. Il y a vingt-cinq ans, une belle commode d’ébéniste connu de la monarchie se vendait pour moins de 100 000 francs (environ 15 000 euros). Elle peut en valoir aujourd’hui 5 millions, (plus de 750 000 euros). Les propriétaires ne font pas suffisamment attention à leurs meubles marquetés… » Peut-être ne sont-ils pas assez attentifs non plus à ces meubles régionaux et à l’extrême qualité de quelques uns. Sans oublier que sous l’ancien régime la France des régions, celle des provinces, pesait d’un poids culturel et créatif important.
Le plaisir de la chasse
Certains en tout cas ont bien compris qu’un vaste champ d’activité ludique ou lucrative pouvait s’ouvrir à eux et gardent les yeux bien ouverts. Grand bien leur fasse, il y a encore des merveilles à découvrir ! A ces curieux s’ouvre ce plaisir de la chasse que restitue parfaitement dans son tout récent livre « L’art c’est la vie », aux éditions Michel Lafon, Pierre Cornette de Saint Cyr, ci-devant commissaire-priseur très médiatisé, qui fut dans sa prime jeunesse un chasseur de dessins anciens fanatique et chanceux.
Le Carré Rive Gauche qui permet chaque année aux brillants antiquaires de cet espace magique, situé à Paris, entre la Seine et le Boulevard Saint-Germain, entre la rue du Bac et Saint-Germain-des-Près, de faire apprécier leur plus beaux trésors offrait du 9 au 13 juin la possibilité de voir de parfaits exemples de meubles régionaux : une commode nantaise du XVIII ème siècle en bois de citron, chez Rullier, 34 rue de Lille (autour de 8 000 euros); une superbe console en noyer, galbée sur trois faces, avec coquille ajourée, d’époque Régence et de fabrication nîmoise ( autour de 20 000 euros) chez Denis Dervieux, 25 rue de Beaune. A noter que cet antiquaire, installé à Paris depuis 15 ans, est le représentant de la quatrième génération de marchands et que sa famille, son père, son frère, tiennent à Avignon et à Arles des magasins d’antiquités emplis de meubles provençaux de toute beauté.
Les ventes aux enchères elles aussi ont donné ces temps derniers l’occasion d’en voir passer beaucoup. Le 14 mars, à Albi, chez Tarn Enchères, une commode scribanne en noyer, moulurée et sculptée, à quatre tiroirs sur trois rangs en partie inférieure, douze tiroirs derrière le vantail, à combinaisons multiples, d’époque Régence, typique du style bordelais, se vendait 17 500 euros. Le 26 mars PIASA mettait en vente à Drouot-Richelieu plusieurs meubles régionaux : un grand buffet malouin du XVII ème siècle, très typique avec ses quatre portes, en bois patiné et mouluré, expertisé par Guillaume Dillée, a été vendu 6 100 euros. De même, une commode galbée en noyer mouluré et sculpté , d’époque Louis XV, travail de port probablement nantais a été cédée pour 8 000 euros. Le 26 mars, à Drouot Richelieu, chez Marc-Arthur Kohn, une enfilade nîmoise en noyer mouluré et sculpté, ouvrant à deux vantaux, coiffée d’un plateau en marbre gris veiné blanc, typique de meubles provençaux du XVIII ème siècle était adjugée 36 000 euros . Le 27 mars, chez Xavier Wattebled, à Lille, un buffet de chasse en chêne du XVIII ème siècle, du Nord de la France, était vendu 6 000 euros. Le 28 mars, à La Garde, l’étude de Provence obtenait une enchère à 13 800 euros pour un meuble de présentation à deux corps en chêne ouvrant à deux vantaux sculptés en partie basse et deux vantaux en partie haute, corniche en chapeau de gendarme. Le 17 avril, chez Alain Briscadieu à Bordeaux, une armoire en acajou massif, moulurée et sculptée, pieds en coquille, travail bordelais d’époque Louis XVI, partait pour 28 500 euros. Le 18 avril, chez Holz-Artles, à Arles, une armoire de mariage en noyer blond, provençale, d’époque Louis XV , avec motifs décoratifs, courbes et contre-courbes, était vendue 12 100 euros. Le 24 avril, une commode scribanne du XVIII ème siècle, en bois de noyer et orme, ouvrant à cinq tiroirs moulurés et galbés en surface, avec abattant découvrant dix petits tiroirs, provenant du Sud-Ouest de la France, était vendue 30 000 euros à Vannes, par Jack-Philippe Ruellan. Le même jour, à Clermont-Ferrand, à la société de ventes volontaires Vassy-Jalenques, une commode en placage de bois de rose marqueté en feuilles, à léger ressaut central, dessus de marbre, portant l’estampille de Courte (francisé de Kurt, ébéniste allemand établi à Dijon,1749-1843), était très disputée jusqu’à 15 000 euros. Le 28 avril à Drouot-Richelieu, l’étude Beaussant-Lefèvre adjugeait pour 5 000 euros un travail provençal d’époque Louis XV. Il s’agit d’une console mouvementée, en bois sculpté, ajouré et doré, la ceinture est soulignée d’une réserve ornée de feuilles d’acanthe dans des rinceaux. Ses deux montants nervurés sont réunis par une entretoise à fleurs et feuillages. Elle comporte un plateau de marbre brèche rouge.
Diversité géographique et historique
Mais comment y voir clair dans une production aussi vaste que diversifiée, géographiquement et historiquement ? Un travail particulièrement important et instructif est mené par les Editions Massin dont l’irremplaçable collection : Le Mobilier Régional, perpétuellement enrichie permet d’envisager les mobiliers sous les angles du style, de l’époque, des matériaux. Magnifiquement illustrés, très didactiques et clairs ces ouvrages d’une centaine de pages pour la plupart, peu onéreux, font pénétrer, sous la houlette d’Edith Mannoni, dans l’univers des ébénistes de la France d’autrefois : Haute Auvergne, Basse Auvergne, Alsace , Lorraine, Charente -Poitou, Lyonnais, Haute Bretagne, Basse Bretagne, Bourgogne,Haute Normandie, Savoie et Dauphiné, Franche-Comté, Sud -Ouest, Picardie et pays Artésien, Provence, Flandre…Cette collection est le passeport de choix pour un voyage passionnant dans le temps et l’espace au cœur de la création du pays de France.
De façon plus succinte, dans son « Dictionnaire des Antiquités » édité Larousse, Jean Bedel établit sur deux pages un tableau précieux qui permet d’un seul coup d’œil de saisir ce qui fait l’originalité d’un meuble. Prenons l’exemple de la Provence. La région s’étend sur les départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, du Var, du Vaucluse et de Bouches-du-Rhône. Là, Jean Bedel retient des meubles variés, gais, exubérants, au style fleuri, aux sculptures fines et serrées. Armoires et commodes, buffets à glissant, hautes encoignures, petits meubles suspendus sont en noyer, olivier, mûrier, poirier ou cerisier. On reconnaît les formes très galbées, les moulures en colimaçon, les sculptures : coquilles, roses, olivier, vigne, blé, guirlandes enroulées,soupière en pied d’escargot… On décèle des influences italiennes, savoyardes, et l’effet des styles Louis XV et Louis XVI. Il en est ainsi dans toutes les provinces, l’air du temps perce toujours sous le ciseau du sculpteur, dans la silhouette et l’organisation des meubles. Mais ce n’est pas une spécialité régionale. C’est une constante de l’ébénisterie et de l’art.
ENCADRE
La dynastie grenobloise des Hache
Voilà bien une dynastie régionale d’ébénistes, celle des Hache, qui a su rivaliser avec les plus grands noms du Faubourg Saint-Antoine à Paris. Installée à Grenoble depuis le début du XVIII ème siècle, la famille de Noël Hache, originaire de Calais, puis ses descendants, Thomas (breveté en 1721 par le duc d’Orléans), Pierre, Jean-François (1730-1796, le plus célèbre), et Christophe-André, ont su imposer, sur plusieurs siècles, un métier qui a marqué l’histoire. Avec leurs secrétaires, commodes, bureaux à cylindre…associant marqueterie et placages de bois sombres et clairs, naturels ou teintés, ronce, loupe, essences rares et locales…ils ont traduit dans leur langage les styles Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Un catalogue raisonné est établi par Pierre Rouge.
Lors de sa vente du 28 avril 2004 à Drouot-Richelieu à Paris, Marc-Arthur Kohn a rendu une sorte d’hommage à cette lignée en proposant plusieurs de leurs mobiliers. Voici un grand bureau à cylindre de Jean-François Hache en bois de placage marqueté. Le cylindre est surmonté d’une rangée de trois tiroirs fins et ouvre sur de multiples casiers et tiroirs. Le meuble est décoré d’un jeu de figures géométriques, cercles, ovales, cubes et réserves de ronces. D’époque Louis XV-Louis XVI, transition, il était estimé de 90 à 120 000 euros.. Une belle commode à deux tiroirs, en noyer, comporte une façade galbée et décorée de motifs de quadrillage en placage de loupe et feuilles en bois teinté. Le plateau de marbre mouluré est veiné rose. Une étiquette de Hache est présente. Elle était estimée de 100 à 120 000 euros.Un petit bureau de pente en marqueterie toutes faces en bois de houx sur fond de loupe d’orme, noyer et sycomore présente un abattant à décor de branchage fleuri composé de bois divers. Sous l’abattant se trouvent deux tiroirs et un secret. Le bureau est estampillé Hache et Fils, Grenoble. Il était estimé de 90 à 120 000 euros. Le niveau très élevé des prix de réserve n’a pas permis la vente au marteau. En revanche le 26 mars Marc-Arthur Kohn avait adjugé 46 000 euros une commode estampillée de Pierre Hache, avec façade en arbalète, deux tiroirs, d’époque Régence.
Publié par Le Figaro ( 2004 )
C’est un genre nouveau de course au trésor où les chasseurs sont de plus en plus nombreux et le gibier de plus en plus rare. Cette chasse se livre dans les magasins des antiquaires, dans les salles de vente où La Gazette de Drouot aide à traquer les plus belles pièces, aux Puces de Saint-Ouen ou dans les brocantes les plus relevées. Mais la compétition est désormais sévère entre chasseurs français et chasseurs internationaux : Américains, Allemands, Britanniques, Belges, Italiens…Pour tous, il s’agit de trouver les plus beaux meubles anciens régionaux, d’origine provençale ou normande, bourguignonne ou lyonnaise, bressane ou bretonne…Et, naturellement, l’affluence des chalands fait monter les prix.
Pour dire vrai, on revient de loin. A preuve, cette citation extraite d’un vieux livre trouvé à la 16 ème Foire Internationale du Livre Ancien qui se tenait du 13 au 16 mai à la Maison de la Mutualité à Paris. Dans cet ouvrage intitulé « L’ art de reconnaître les meubles », publié chez Gründ en 1924, Emile-Bayard, spécialiste des Beaux-Arts, fort renommé à l’époque, écrit : « La source provinciale est suspecte et l’étiquette ne consacre pas la beauté. La signature seule constitue une preuve…et encore ! » Pourtant, en devancier, cet érudit tente déjà d’attirer l’attention de ses contemporains sur les mobiliers régionaux. « En dehors du meuble essentiellement de style, le meuble paysan doit retenir notre attention. Celui-là suit les styles avec une désinvolture d’un pittoresque fort attrayant. Il respecte, comme toujours, les grandes lignes ; toutefois, son décor naïf, sa sculpture gauche, lui prêtent un caractère, une saveur non plus imputables à une école , mais à un sol. » Et, plus global, d’ajouter : « On ignorait la camelote aux temps passés ; la preuve en est que les meubles ont résisté aux siècles, matériellement autant qu’esthétiquement. » Ouvrez les yeux ! conseille-t-il en somme à ses contemporains d’il y a quatre-vingts ans.
Le meuble « paysan » n’est pas le seul à avoir subi longuement cet ostracisme ou cet aveuglement du public. Même les mobiliers les plus raffinés, sortis des ateliers des plus grands ébénistes aujourd’hui adulés et hyper-cotés, ont longtemps été tenus pour peu de chose. Vincent Noce, auteur chez Jean-Claude Lattès, d’un livre très savoureux et plein d’exemples révélateurs, « Descente aux enchères », sous-titré « Les Coulisses du marché de l’art », que tout chineur lira avec profit (et parfois avec effarement, tant les récits de certains abus sont stupéfiants) écrit très justement par exemple :« Longtemps le mobilier français ancien a été négligé. Il y a vingt-cinq ans, une belle commode d’ébéniste connu de la monarchie se vendait pour moins de 100 000 francs (environ 15 000 euros). Elle peut en valoir aujourd’hui 5 millions, (plus de 750 000 euros). Les propriétaires ne font pas suffisamment attention à leurs meubles marquetés… » Peut-être ne sont-ils pas assez attentifs non plus à ces meubles régionaux et à l’extrême qualité de quelques uns. Sans oublier que sous l’ancien régime la France des régions, celle des provinces, pesait d’un poids culturel et créatif important.
Le plaisir de la chasse
Certains en tout cas ont bien compris qu’un vaste champ d’activité ludique ou lucrative pouvait s’ouvrir à eux et gardent les yeux bien ouverts. Grand bien leur fasse, il y a encore des merveilles à découvrir ! A ces curieux s’ouvre ce plaisir de la chasse que restitue parfaitement dans son tout récent livre « L’art c’est la vie », aux éditions Michel Lafon, Pierre Cornette de Saint Cyr, ci-devant commissaire-priseur très médiatisé, qui fut dans sa prime jeunesse un chasseur de dessins anciens fanatique et chanceux.
Le Carré Rive Gauche qui permet chaque année aux brillants antiquaires de cet espace magique, situé à Paris, entre la Seine et le Boulevard Saint-Germain, entre la rue du Bac et Saint-Germain-des-Près, de faire apprécier leur plus beaux trésors offrait du 9 au 13 juin la possibilité de voir de parfaits exemples de meubles régionaux : une commode nantaise du XVIII ème siècle en bois de citron, chez Rullier, 34 rue de Lille (autour de 8 000 euros); une superbe console en noyer, galbée sur trois faces, avec coquille ajourée, d’époque Régence et de fabrication nîmoise ( autour de 20 000 euros) chez Denis Dervieux, 25 rue de Beaune. A noter que cet antiquaire, installé à Paris depuis 15 ans, est le représentant de la quatrième génération de marchands et que sa famille, son père, son frère, tiennent à Avignon et à Arles des magasins d’antiquités emplis de meubles provençaux de toute beauté.
Les ventes aux enchères elles aussi ont donné ces temps derniers l’occasion d’en voir passer beaucoup. Le 14 mars, à Albi, chez Tarn Enchères, une commode scribanne en noyer, moulurée et sculptée, à quatre tiroirs sur trois rangs en partie inférieure, douze tiroirs derrière le vantail, à combinaisons multiples, d’époque Régence, typique du style bordelais, se vendait 17 500 euros. Le 26 mars PIASA mettait en vente à Drouot-Richelieu plusieurs meubles régionaux : un grand buffet malouin du XVII ème siècle, très typique avec ses quatre portes, en bois patiné et mouluré, expertisé par Guillaume Dillée, a été vendu 6 100 euros. De même, une commode galbée en noyer mouluré et sculpté , d’époque Louis XV, travail de port probablement nantais a été cédée pour 8 000 euros. Le 26 mars, à Drouot Richelieu, chez Marc-Arthur Kohn, une enfilade nîmoise en noyer mouluré et sculpté, ouvrant à deux vantaux, coiffée d’un plateau en marbre gris veiné blanc, typique de meubles provençaux du XVIII ème siècle était adjugée 36 000 euros . Le 27 mars, chez Xavier Wattebled, à Lille, un buffet de chasse en chêne du XVIII ème siècle, du Nord de la France, était vendu 6 000 euros. Le 28 mars, à La Garde, l’étude de Provence obtenait une enchère à 13 800 euros pour un meuble de présentation à deux corps en chêne ouvrant à deux vantaux sculptés en partie basse et deux vantaux en partie haute, corniche en chapeau de gendarme. Le 17 avril, chez Alain Briscadieu à Bordeaux, une armoire en acajou massif, moulurée et sculptée, pieds en coquille, travail bordelais d’époque Louis XVI, partait pour 28 500 euros. Le 18 avril, chez Holz-Artles, à Arles, une armoire de mariage en noyer blond, provençale, d’époque Louis XV , avec motifs décoratifs, courbes et contre-courbes, était vendue 12 100 euros. Le 24 avril, une commode scribanne du XVIII ème siècle, en bois de noyer et orme, ouvrant à cinq tiroirs moulurés et galbés en surface, avec abattant découvrant dix petits tiroirs, provenant du Sud-Ouest de la France, était vendue 30 000 euros à Vannes, par Jack-Philippe Ruellan. Le même jour, à Clermont-Ferrand, à la société de ventes volontaires Vassy-Jalenques, une commode en placage de bois de rose marqueté en feuilles, à léger ressaut central, dessus de marbre, portant l’estampille de Courte (francisé de Kurt, ébéniste allemand établi à Dijon,1749-1843), était très disputée jusqu’à 15 000 euros. Le 28 avril à Drouot-Richelieu, l’étude Beaussant-Lefèvre adjugeait pour 5 000 euros un travail provençal d’époque Louis XV. Il s’agit d’une console mouvementée, en bois sculpté, ajouré et doré, la ceinture est soulignée d’une réserve ornée de feuilles d’acanthe dans des rinceaux. Ses deux montants nervurés sont réunis par une entretoise à fleurs et feuillages. Elle comporte un plateau de marbre brèche rouge.
Diversité géographique et historique
Mais comment y voir clair dans une production aussi vaste que diversifiée, géographiquement et historiquement ? Un travail particulièrement important et instructif est mené par les Editions Massin dont l’irremplaçable collection : Le Mobilier Régional, perpétuellement enrichie permet d’envisager les mobiliers sous les angles du style, de l’époque, des matériaux. Magnifiquement illustrés, très didactiques et clairs ces ouvrages d’une centaine de pages pour la plupart, peu onéreux, font pénétrer, sous la houlette d’Edith Mannoni, dans l’univers des ébénistes de la France d’autrefois : Haute Auvergne, Basse Auvergne, Alsace , Lorraine, Charente -Poitou, Lyonnais, Haute Bretagne, Basse Bretagne, Bourgogne,Haute Normandie, Savoie et Dauphiné, Franche-Comté, Sud -Ouest, Picardie et pays Artésien, Provence, Flandre…Cette collection est le passeport de choix pour un voyage passionnant dans le temps et l’espace au cœur de la création du pays de France.
De façon plus succinte, dans son « Dictionnaire des Antiquités » édité Larousse, Jean Bedel établit sur deux pages un tableau précieux qui permet d’un seul coup d’œil de saisir ce qui fait l’originalité d’un meuble. Prenons l’exemple de la Provence. La région s’étend sur les départements des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, du Var, du Vaucluse et de Bouches-du-Rhône. Là, Jean Bedel retient des meubles variés, gais, exubérants, au style fleuri, aux sculptures fines et serrées. Armoires et commodes, buffets à glissant, hautes encoignures, petits meubles suspendus sont en noyer, olivier, mûrier, poirier ou cerisier. On reconnaît les formes très galbées, les moulures en colimaçon, les sculptures : coquilles, roses, olivier, vigne, blé, guirlandes enroulées,soupière en pied d’escargot… On décèle des influences italiennes, savoyardes, et l’effet des styles Louis XV et Louis XVI. Il en est ainsi dans toutes les provinces, l’air du temps perce toujours sous le ciseau du sculpteur, dans la silhouette et l’organisation des meubles. Mais ce n’est pas une spécialité régionale. C’est une constante de l’ébénisterie et de l’art.
ENCADRE
La dynastie grenobloise des Hache
Voilà bien une dynastie régionale d’ébénistes, celle des Hache, qui a su rivaliser avec les plus grands noms du Faubourg Saint-Antoine à Paris. Installée à Grenoble depuis le début du XVIII ème siècle, la famille de Noël Hache, originaire de Calais, puis ses descendants, Thomas (breveté en 1721 par le duc d’Orléans), Pierre, Jean-François (1730-1796, le plus célèbre), et Christophe-André, ont su imposer, sur plusieurs siècles, un métier qui a marqué l’histoire. Avec leurs secrétaires, commodes, bureaux à cylindre…associant marqueterie et placages de bois sombres et clairs, naturels ou teintés, ronce, loupe, essences rares et locales…ils ont traduit dans leur langage les styles Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Un catalogue raisonné est établi par Pierre Rouge.
Lors de sa vente du 28 avril 2004 à Drouot-Richelieu à Paris, Marc-Arthur Kohn a rendu une sorte d’hommage à cette lignée en proposant plusieurs de leurs mobiliers. Voici un grand bureau à cylindre de Jean-François Hache en bois de placage marqueté. Le cylindre est surmonté d’une rangée de trois tiroirs fins et ouvre sur de multiples casiers et tiroirs. Le meuble est décoré d’un jeu de figures géométriques, cercles, ovales, cubes et réserves de ronces. D’époque Louis XV-Louis XVI, transition, il était estimé de 90 à 120 000 euros.. Une belle commode à deux tiroirs, en noyer, comporte une façade galbée et décorée de motifs de quadrillage en placage de loupe et feuilles en bois teinté. Le plateau de marbre mouluré est veiné rose. Une étiquette de Hache est présente. Elle était estimée de 100 à 120 000 euros.Un petit bureau de pente en marqueterie toutes faces en bois de houx sur fond de loupe d’orme, noyer et sycomore présente un abattant à décor de branchage fleuri composé de bois divers. Sous l’abattant se trouvent deux tiroirs et un secret. Le bureau est estampillé Hache et Fils, Grenoble. Il était estimé de 90 à 120 000 euros. Le niveau très élevé des prix de réserve n’a pas permis la vente au marteau. En revanche le 26 mars Marc-Arthur Kohn avait adjugé 46 000 euros une commode estampillée de Pierre Hache, avec façade en arbalète, deux tiroirs, d’époque Régence.
Publié par Le Figaro ( 2004 )
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