« Rotraut » Par Michèle Gazier (éd. Dilecta)
« Faire l’Amour avec
la Vie »
Rotraut,
Rotraut Uecker, Rotraut Klein, Rotraut Moquay, sous toutes ses identités est d’abord
une artiste mythique. Elle est aussi et avant tout une artiste bien vivante,
passionnément créative comme elle l’a
toujours été. Le livre que publient les éditions Dilecta, réalisé par Michèle
Gazier, apporte ainsi la démonstration de la diversité et de la richesse de
l’œuvre de cette artiste. Magnifiquement illustré, cet ouvrage permet sur plus
de deux cents pages d’apprécier l’inventivité de Rotraut. La liste
impressionnante de ses expositions personnelles ou publiques, la présence de
ses œuvres dans les collections publiques ou privées témoignent de son
importance dans le monde de l’art d’aujourd’hui.
Son
parcours dans l’art, Rotraut l’a débuté toute jeune, dans sa Poméranie où elle
naît en 1938, à Mecklenburg. Et c’est d’abord dans l’émotion, les sensations,
la captation des effluves mystérieux de la nature que naît sa vocation. Rotraut
est comme une plaque sensible qui enregistre toutes les vibrations autour
d’elle. Peu à peu, elle constitue ainsi son patrimoine qui fait sa richesse et qu’elle
distille tout au long de son œuvre.
Pour
comprendre le travail de Rotraut, il faut saisir la vie de l’artiste dans sa
globalité. Dans ses points fixes comme dans ses déplacements intercontinentaux.
De sa naissance, en Allemagne, juste avant la guerre, jusqu’à l’épanouissement
de son expression dans son atelier de Paradise Valley, près de Phoenix, en
Arizona, via l’Australie où elle a aussi ses attaches. Comprendre d’où vient
son inspiration, d’où jaillissent les émotions et les pulsions qui l’animent.
Savoir que Rotraut a toujours baigné dans un milieu où créer était une seconde
nature. Ce n’est pas un hasard si son frère, Günther Uecker, est devenu l’un
des artistes allemands contemporains les plus reconnus et admirés dans le
monde. Savoir aussi qu’elle a été l’épouse d’un des phares de l’art
contemporain, Yves Klein. Disparu en
1962, celui-ci a laissé une œuvre d’une immense portée fondatrice : les
collectionneurs du monde entier se l’arrachent aujourd’hui à prix d’or
connaissant sa valeur prophétique et esthétique. Savoir enfin que l’art a
toujours été le guide de Rotraut.
La permanence
et la continuité sont les maîtres mots d’une œuvre en perpétuel enrichissement.
Dès 1956, Rotraut réalise ses premières Galaxies où, d’emblée, le Cosmos est la référence
fondamentale. L’artiste dépose à la surface du support –toile marouflée sur
bois- des quantités de petits points, des gouttelettes de pâte blanche qui vont
durcir. Puis elle recouvre le tout d’encre de Chine, de peinture noire, et
ensuite, en grattant l’étendue opacifiée à la toile émeri, elle fait
réapparaître certains de ces points de lumière. Une constellation d’étoiles
vient de naître. En 1963, Rotraut crée toujours des Galaxies, mais elle ajoute
à son espace créatif de nombreux
tableaux inspirés par l’Univers et la voûte céleste : soleils ;
lunes ; trous noirs ; comètes ; éclipses…Ce sont des approches,
des voyages intersidéraux, des raccourcis spatio-temporels, toutes dans le
mouvement. Mais aussi des cartographies,
comme dans les Tantras, où la représentation du temps infini qu’on a intimement
en soi est l’objet d’une figuration ésotérique. Cette cosmographie, en
2005, n’a perdu ni sa fraîcheur ni sa spontanéité. Pour obtenir des effets
semblables mais à grande échelle, Rotraut pratique un dripping avec une grande
brosse et des pinceaux. La toile, parfois immense, est au sol. Rotraut la sème
d’étoiles blanches ou de glitter noir, dans ce « délire énergétique
extralucide » que décrivait avec bonheur Pierre Restany.
Retour à 1960.
A la poursuite du Graal de la création, Rotraut imagine de « voler »
la sensibilité des grands maîtres classiques. Elle publie même une manière de manifeste
dans lequel elle écrit : « J’ai décidé de tenter de voler purement
et simplement la sensibilité picturale de grands maîtres de notre art
occidental si hermétique. » Elle projette alors des diapositives et se
place en plein cœur de tableaux magistraux. Sur un grand papier fixé au mur,
elle suit les lignes de force de l’œuvre, en reprend les mouvements qu’elle
ressent, en repeint les couleurs. A
partir de ce travail, elle sélectionne une partie pour en tirer des empreintes. Cette idée de projection
l’autorise à être seule face à ces peintures, à les lire avec sa personnalité.
Elle les intériorise et peut ainsi
pénétrer dans l’âme de cette peinture et dans celle de l’artiste. Elle se met
ainsi en harmonie combative avec Botticelli, Rubens, Cézanne, Gauguin,
David…Une belle galaxie d’artistes dont Rotraut veut là aussi percer les
secrets. Ces œuvres sont exposées pour
la première fois chez Amstel à Amsterdam en 1964. De l’infiniment grand à
l’infiniment intime, la voie n’est pas déviée. De même quand Rotraut imagine
ces tableaux où sont superposés deux carrés, dont l’un en losange. Le plus grand ouvre la perspective sur un
univers. L’autre, au centre, zoome, si l’on peut dire, sur une vision plus
ciblée, une image forte, un détail sensible. L’un et l’autre jouent ensemble à
créer du sens. Roraut trouve un soir la confirmation de son intuition
alors qu’après avoir peint ainsi son premier tableau de cette sorte, elle
contemple un coucher de soleil sur un sommet de l’Arizona et que le soleil dorant
la crête de la montagne semble lui donner son accord.
Lorsqu’en
1959, Rotraut travaille sur bois ses peintures reliefs, il s’agit de créer à la
surface des planches des reliefs à base de colle et de plâtre dont elle fera des empreintes.
L’œuvre ainsi se dédouble : d’une part, la trace originelle du travail
plastique ( fixé sur le support) ;
d’autre part, la mémoire de ce travail qui devient empreintes et peut se
démultiplier. C’est ce qu’elle expose à Londres à la New Vision Gallery. Et ce
sera aussi une de ses méthodes pour l’avenir dans le développement de son
travail sur les Formes. Ces formes,
produites dans une conduite d’énergie-réflexe dès 1952, sur les tableaux
d’abord, sont élues et choyées. L’artiste y voit du végétal, de l’animal, de
l’humain, elle y discerne la masculinité, la féminité…. Vite, elles
deviennent des personnes à part entière qui prennent leur extension dans l’air,
dans l’eau ; elles sont également déclinées en sculptures de céramique, de
marbre blanc de Carrare ou noir de Belgique, de métal, de bois, de pierre, de
bronze, d’acier, de plastique… Nées grandes comme une main, elles deviennent
parfois immenses ; blanches à l’origine, elles se parent de toutes les
couleurs les plus vives : robes rouges d’un feu qui rayonne, parures jaune-soleil,
vert-prairies…ou noir-carbone étincelantes comme autant de diamants.
Toute cette
pratique pourrait n’être que techniques parfaitement apprivoisées et mises en
œuvres avec dextérité. Pas chez Rotraut qui, tel un médium, vibre à l’unisson
de ses découvertes successives. « Peindre, dit-elle, c’est faire l’amour
avec la Vie ». Il y a dans la moindre de ses productions une puissance
presque primitive, une fulgurance, un élan vital surgi du plus profond de sa
sensibilité qui lui donnent ses raisons
de créer. Et qui rassemblent une œuvre où il y a beaucoup à découvrir sur nous
et sur le Monde.
Jacques Bouzerand.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 20 autres membres