Voici le temps des antiquités contemporaines (2001 )
Voici le temps des antiquités contemporaines
Cela peut faire un choc de voir basculer au rang d'antiquités respectables et reconnues par le marché de l'art des meubles, des lampadaires, des objets que l'on a vu naître. Point n'est besoin d'être cacochyme, on trouve ainsi dans les catalogues des ventes publiques les plus huppées une chaise barbare d'Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti de 1981 ou un fauteuil de Philippe Starck de 1980 ( Cabinet Camard ) et, chez Me Pierre Cornette de Saint-Cyr, une lampe de Gaetano Pesce de 1994 ou même un lampadaire de Thomas Langrand de 2000. Ainsi va le monde, de plus en plus rapide dirait-on.
L'an dernier, le 2 décembre 2000, le Cabinet d'expertise Camard a mis en vente sous les marteaux de Mes Millon et Robert quelque 120 meubles ou objets classés sous le titre "Metal design", même si le bois et le plastique étaient aussi extrêmement présents. Résultats passionnants, car très significatifs de l'intérêt porté à cette nouvelle race d'objets de collection. Et à quelques grands noms désormais élus des amateurs éclairés et fortunés. Ainsi, une applique murale pyramide de Jean Royère, en tubes de métal peint dans sa couleur d'origine vermillon, à dix lumières réparties sur quatre rangs convexes, abat-jour en cylindre papier ( 99 x 67,5 x 25 cm.) s'est-elle vendue 188 000 francs.
Du même créateur, une commode à bâti et structure en tubes de métal à trois faces en croisillons de fils d'acier supportant un caisson rectangulaire s'ouvrant à trois tiroirs en placage de chêne ( avec des manques) estimé de 60 à 80 000 francs a trouvé preneur à 290 000 francs. Mieux encore, 390 000 francs ont été obtenus pour un bureau de chambre de conception identique avec plateau en placage de chêne et la chaise assortie. Une chaise basse "Copacabana " à bâti et piétement en tube de métal laqué noir, dossier en tôle perforée, assise en cuir est partie à 20 000 francs. A Boulogne-Billancourt, le 24 juin 2001, à l'étude Martinot- Savignat-Antoine-Royer, un canapé et deux fauteuils "ours polaire" ont atteint 945 000 francs et une bibliothèque à caisson suspendu en placage de merisier sur pieds excentrés en fer rond, 320 000 francs.
Le décorateur du Shah d'Iran
Jean Royère, (1902-1981), s'intitulait sobrement "décorateur à Paris", comme le rappelle le très intéressant catalogue paru aux éditions Norma à l'occasion de l'exposition Royère au Musée des Arts Décoratifs voilà tout juste un an. D'abord installé dans le Faubourg Saint-Antoine au cours des années 30, il rayonne vingt ans plus tard dans le monde entier du Caire à Helsinki, et des États Unis à Beyrouth ou Téhéran, où il meuble et décore les appartements du Shah, ou à Djedda, où il meuble et décore le palais du roi Séoud... Lampes, canapés, tables et toutes ses autres oeuvres très diverses témoignent du niveau de la qualité.de son travail. " Son sens des formes simples, l'amour des matériaux utilisés jusqu'à leur limite technique, sa constante recherche de l'ornement juste en font certainement un des grands modernes, écrit dans la préface du catalogue Marie-Claude Beaud, alors conservateur général de l'union centrale des arts décoratifs. A coup sûr, l'exposition des Arts Déco a contribué, en faisant mieux connaître ce décorateur français, à installer sa cote à des niveaux encore jamais atteints.
L'intuition de la simplicité
Il faut être aussi particulièrement attentif aux cotes des meubles de Jean Prouvé (1901-1984), vedette de ce marché récent. Jean Prouvé est en effet la coqueluche de l'heure. Fils d'un artisan-artiste, peintre, sculpteur, orfèvre dans la mouvance de l'école de Nancy qu'illustrent Gallé ou Majorelle, le jeune Prouvé sitôt la Grande Guerre terminée fait l'apprentissage de la ferronnerie. Son grand talent est d'avoir pensé avant bien d'autres que le métal deviendrait bientôt , et notamment dans la fabrication industrielle, le b. a. ba du métier. D'où ses créations multiples de chaises ou de fauteuils pliants, de meubles en tôle, de lampadaires... Cette intuition de la simplicité rejoint celle des autres créatifs de l'époque comme Marcel Breuer, René Herbst, Alvar Aalto ou, surtout, Charlotte Perriand ( qui était elle plutôt bois ) avec laquelle il mènera longtemps une oeuvre commune. Héros des années de reconstruction après la Deuxième guerre mondiale il se fera remarquer par l'imagination déployée pour fabriquer en séries et sans trop de coût des maisons préfabriquées, abris pour les temps de catastrophes, ou meubles pour les établissements scolaires et universitaires. Ces mobiliers naguère purement usuels et utilitaires son recherchés pour leur minimalisme et leur sobriété.
Les anciens bureaux d'écoliers
Lors de la vente de décembre 2000 par le Cabinet Camard, ses meubles avaient déjà atteint des sommes importantes. Une étagère murale à trois plateaux en placage de hêtre, alternés de cinq caissons en tôle d'acier plié en "U" dans leur peinture d'origine bleu pétrole, rouge vif et vert vif avait été adjugée 33 000 francs; une table à plateau rectangulaire recouvert de bullgom beige, à champ bordé d'aluminium, reposant sur un piétement en compas réuni par une base cylindrique à quatre fixations "aile delta", a trouvé preneur à 68 000 francs. Un meuble de rangement en tôle d'acier laquée bleu pétrole et frêne massif blond, s'ouvrant à deux portes coulissantes sur rails, fixé sur quatre pieds profilés ( 159 x 161 x 55 cm ) a été vendu 84 000 francs. Un pupitre d'écolier à deux places à piétement à compas de section prismatique, en tôle d'acier plié et soudé laqué vert, plateau en hêtre avec découpes pour plumiers et encriers, rangements à cahiers sous le plateau , mobilier scolaire des années 50, a trouvé preneur à 6500 francs, un autre à 9500 francs. Un ensemble de trois fauteuils d'amphithéâtre à piétement ailes d'avion, dossier cintré et assise basculante garnis de Skaï s'est vendu 10 500 francs. Un lit sanatorium en tôle d'(acier pliée et soudée laquée rouge vif a obtenu 13 500 francs.
Le 3 octobre 2001 lors de la vente organisée par le cabinet Camard sous les marteaux de la SCP de commissaires-priseurs Le Mouel un bureau "compas" à plateau rectangulaire en placage de chêne, avec deux tiroirs en tôle laquée gris était estimé de 30 à 40 000 francs. Il s'est vendu XXXX. Un banc à assise, dossier et tablette en chêne massif structure tubulaire du dossier et piétement en compas était estimé de 30 à 40 000 francs. Il s'est venduXXXx.
Dans le commerce des "antiquités contemporaines" les prix de Prouvé ont d'avantage encore tendance à s'affirmer. De 10 à 15 000 francs pour de simples chaises naguère bradées à 500 ou 800 francs, de 200 à 300 000 francs pour les bibliothèques que l'on trouvait voilà peu pour moins de 50 000 francs.
Autres objets, autres passions. A la vente du 2 décembre, un lampadaire de parquet en métal laqué noir supportant un globe en tôle emboutie orientable sur rotule de Serge Mouille a été adjugé 45 000 francs; lors de la vente " Luminaires et Céramiques" organisée par Pierre Cornette de Saint-Cyr le 2 juillet 2001, à Drouot-Richelieu, une suspension à trois bras pivotants de Serge Mouille a été adjugée 120 000 francs. Un lampadaire Totem, aluminium laqué noir et socle en noyer, 175 000 francs.
La petite madeleine au goût de plastique
Depuis les années 50-60 l'invention des créateurs de mobilier a été foisonnante. On en prend plus conscience aujourd'hui que tout au long des années où elles ont imbibé la vie quotidienne. Eh oui! Ces objets, ces meubles que l'on achetait sans y prendre garde, et dont on se débarrassait parfois ingénument en les déposant sur les trottoirs, allaient devenir des objets ou des meubles de collection.
Il faut feuilleter "Sixties design" de Philippe Garner, publié aux éditions Taschen, pour éprouver un sentiment de nostalgie. La petite madeleine de Proust a parfois un goût de plastique, de verre ou de métal. C'est le bureau, la table et les fauteuils créés par Florence Knoll, les cendriers en plastique qui s'empilent de Walter Zeischegg, la chaise moulée par injection en fibre de verre et polyester de Verner Panton, le lampadaire à immense tige en acier courbé sur piétement en parallélépipède de marbre de Achille et Pier Giacomo Castiglioni, les fauteuils "coquetier" d'Eero Aarnio ou de Marc Held, la télévision toute blanche dans sa coque de Roger Tallon, le fauteuil tout en mousse de Gaetano Pesce, le pouf en polyester rempli de petite billes de polyuréthanne dessiné par Piero Gatti, Cesare Paolini et Franco Téodoro et produit, à combien de milliers d'exemplaires, par Zanotta ou bien le fauteuil gonflable de Jonathan De Plas, Donato D'Urbino et Carla Scolari...
Du fonctionnel à la dématérialisation
Le Musée des Arts Décoratifs de Montréal a constitué depuis 1980 une fabuleuse collection du design du XX ème siècle, plus précisément de la seconde partie de ce siècle. Liliane et David M. Stewart ont été les initiateurs de ce projet concrétisé par un livre paru en 2000 chez Flammarion dont le découpage clarifie les tendances par grandes périodes de dix ans.
Les années 50 sont celles de la quête de la beauté fonctionnelle. La prospérité des États Unis fait naître le "good design".Les noms qui se dégagent sont ceux de Charles et Ray Eames avec leurs meubles de rangement d'acier galvanisé et de contre-plaqué plastifié, leurs fauteuils fibre de verre et acier; George Nelson avec ses canapés acier aux arêtes vives, Isamu Noguchi qui marrie le Formica et l'acier, Arne Jacobsen, avec ses sièges en contre-plaqué moulé, Eero Sarinen avec ses tables d'aluminium revêtu de plastique et ses chaises tulipes...
Les années 60 animent la Révolution du design. Eero Aarnio, s'inspire de l'astronautique, Gae Aulenti des robots. Achille et Pier Giacomo Castiglioni dessine dans l'espace son fameux lampadaire; Cesare Colombo empile les unes sur les autres ses chaises de plastique moulé; Olivier Mourgue recouvre de jersey extensible sa chaise longue "bouloum", et Pierre Paulin son fauteuil inspiré de la courbe sans fin de Moebius...
Les années 70 renvoient au pluralisme et à la défense de l'environnement. Ainsi en va -t-il des chaises, chaises longues, fauteuils, repose-pieds en carton ondulé de Frank O. Gehry ; du portemanteau Cactus de Guido Drocco et Franco Mello ; de la lampe "boa" de Livio Castiglioni et Gianfranco Frattini ; de la chauffeuse et repose pieds acier et garniture de laine d'Oscar et Ana Maria Niemeyer; du chiffonnier tout en courbes de Shiro Kuramata ou la chaise pliante, modèle "plia", plus de 6 millions d'exemplaires vendus, de Giancarlo Piretti. Richard Sapper conçoit sa lampe de table de travail à longs bras articulés posée sur un petit socle et multiorientable...
Les années 80 font entrer à toute vitesse dans le postmodernisme. Toshiyuki Kita conçoit le fauteuil sans pied dépliant houssé de couleurs vives avec son appuie-tête à oreilles évoquant irrésistiblement Mickey Mouse; Dan Friedman s'inspire du Pop Art pour ses meubles en Surell; Andréa Branzi fabrique des bibliothèques dont les étagères de verre ne sont retenues que par des filins d'acier; Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti présentent leur collection "Nouveaux barbares " qui intègre les matériaux les plus primitifs, bois trouvé peint, paille, peaux de bêtes ; Philippe Starck invente ses tables tout en verre au plateau reposant sur des pieds en forme de cornes de taureaux...
Les années 90 enfin seraient celles de la dématérialisation. Ainsi, la bibliothèque en un ruban d'acier trempé de Ron Arad; la chauffeuse tressée comme un panier de Marc Newson ; la suspension en bouteilles de lait ou le chiffonnier dont les tiroirs indépendants les uns des autres sont retenus tout de guingois par une sangle de Tejo Remy; la table basse en aggloméré de récupération de Ali Tayar; ou le mobilier de type lits et chariots d'hôpital Antonio Citterio et Glen Oliver Löw...
Les architectes créent la mode
Une vision plus française du paysage conduit à intégrer d'autres noms qui ont leur importance autant nationale qu'internationale. Ceux, d'abord, des aménageurs de territoires : Andrée Putman, architecte d'intérieur, qui installe aussi bien les maisons de ses amis qu'à Bordeaux le CAPC et à New York, l'hôtel Morgans ; Philippe Starck qui intervient dans le monde entier et donne son style au Café Costes à Paris ; Christian de Portzamparc qui revoit le Café Beaubourg comme Olivier Gagnère le Café Marly, ou bien Jean Nouvel qui programme l'hôtel Saint-James à Bouliac dans la banlieue de Bordeaux. Par le travail sur des lieux publics ces architectes innovent dans les volumes, imposent de nouvelles façon de les meubler, créent parfois les mobiliers les mieux adaptés à leur vision. En sensibilisant le public à des formes originales, ils lancent un style et indiquent ce qui est à la mode. Cette piste opportune bien montrée et démontrée est un des fruits du magnifique livre sur le "Mobilier français 1960-1998" de Yvonne Brunhammer et Marie-Laure Perrin aux Éditions Massin. On y constate l'influence de la commande publique : l'effet Marc Held et Annie Tribel, Starck, Ronald-Cecil Portes, Wilmotte, Paulin sur l'Élysée de François Mitterrand, l'effet Putman sur les ministères des Finances et de la Culture de Jack Lang, conjugué là avec l'effet Sylvain Dubuisson.
On y lit aussi la transformation majeure de notre cadre de vie. Ce sont les meubles du quotidien comme la chaise 510, à structure tubulaire vert, "Éducation nationale"; la commode DF 2000 en lamifié de Raymond Loewy ; le tabouret démontable et empilable Tam-Tam de Henry Massonnet ; les tables et chaises de Starck, de Wilmotte ou de Pascal Mourgue. Et de tant d'autres.
Et plus rares dans le paysage, apparaissent les pièces créees par les artistes comme Diego Giacometti, César, Niki de Saint-Phalle, Robert Combas, Bernard Rancillac, Louis Cane... Ou bien de cet artiste français vivant aux États unis, Bernar Venet, dont le mobilier d'acier aux strictes mais riches lignes est actuellement présenté à la galerie Rabouan-Moussion à Paris.
Publié par Le Figaro ( 2001 )
Cela peut faire un choc de voir basculer au rang d'antiquités respectables et reconnues par le marché de l'art des meubles, des lampadaires, des objets que l'on a vu naître. Point n'est besoin d'être cacochyme, on trouve ainsi dans les catalogues des ventes publiques les plus huppées une chaise barbare d'Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti de 1981 ou un fauteuil de Philippe Starck de 1980 ( Cabinet Camard ) et, chez Me Pierre Cornette de Saint-Cyr, une lampe de Gaetano Pesce de 1994 ou même un lampadaire de Thomas Langrand de 2000. Ainsi va le monde, de plus en plus rapide dirait-on.
L'an dernier, le 2 décembre 2000, le Cabinet d'expertise Camard a mis en vente sous les marteaux de Mes Millon et Robert quelque 120 meubles ou objets classés sous le titre "Metal design", même si le bois et le plastique étaient aussi extrêmement présents. Résultats passionnants, car très significatifs de l'intérêt porté à cette nouvelle race d'objets de collection. Et à quelques grands noms désormais élus des amateurs éclairés et fortunés. Ainsi, une applique murale pyramide de Jean Royère, en tubes de métal peint dans sa couleur d'origine vermillon, à dix lumières réparties sur quatre rangs convexes, abat-jour en cylindre papier ( 99 x 67,5 x 25 cm.) s'est-elle vendue 188 000 francs.
Du même créateur, une commode à bâti et structure en tubes de métal à trois faces en croisillons de fils d'acier supportant un caisson rectangulaire s'ouvrant à trois tiroirs en placage de chêne ( avec des manques) estimé de 60 à 80 000 francs a trouvé preneur à 290 000 francs. Mieux encore, 390 000 francs ont été obtenus pour un bureau de chambre de conception identique avec plateau en placage de chêne et la chaise assortie. Une chaise basse "Copacabana " à bâti et piétement en tube de métal laqué noir, dossier en tôle perforée, assise en cuir est partie à 20 000 francs. A Boulogne-Billancourt, le 24 juin 2001, à l'étude Martinot- Savignat-Antoine-Royer, un canapé et deux fauteuils "ours polaire" ont atteint 945 000 francs et une bibliothèque à caisson suspendu en placage de merisier sur pieds excentrés en fer rond, 320 000 francs.
Le décorateur du Shah d'Iran
Jean Royère, (1902-1981), s'intitulait sobrement "décorateur à Paris", comme le rappelle le très intéressant catalogue paru aux éditions Norma à l'occasion de l'exposition Royère au Musée des Arts Décoratifs voilà tout juste un an. D'abord installé dans le Faubourg Saint-Antoine au cours des années 30, il rayonne vingt ans plus tard dans le monde entier du Caire à Helsinki, et des États Unis à Beyrouth ou Téhéran, où il meuble et décore les appartements du Shah, ou à Djedda, où il meuble et décore le palais du roi Séoud... Lampes, canapés, tables et toutes ses autres oeuvres très diverses témoignent du niveau de la qualité.de son travail. " Son sens des formes simples, l'amour des matériaux utilisés jusqu'à leur limite technique, sa constante recherche de l'ornement juste en font certainement un des grands modernes, écrit dans la préface du catalogue Marie-Claude Beaud, alors conservateur général de l'union centrale des arts décoratifs. A coup sûr, l'exposition des Arts Déco a contribué, en faisant mieux connaître ce décorateur français, à installer sa cote à des niveaux encore jamais atteints.
L'intuition de la simplicité
Il faut être aussi particulièrement attentif aux cotes des meubles de Jean Prouvé (1901-1984), vedette de ce marché récent. Jean Prouvé est en effet la coqueluche de l'heure. Fils d'un artisan-artiste, peintre, sculpteur, orfèvre dans la mouvance de l'école de Nancy qu'illustrent Gallé ou Majorelle, le jeune Prouvé sitôt la Grande Guerre terminée fait l'apprentissage de la ferronnerie. Son grand talent est d'avoir pensé avant bien d'autres que le métal deviendrait bientôt , et notamment dans la fabrication industrielle, le b. a. ba du métier. D'où ses créations multiples de chaises ou de fauteuils pliants, de meubles en tôle, de lampadaires... Cette intuition de la simplicité rejoint celle des autres créatifs de l'époque comme Marcel Breuer, René Herbst, Alvar Aalto ou, surtout, Charlotte Perriand ( qui était elle plutôt bois ) avec laquelle il mènera longtemps une oeuvre commune. Héros des années de reconstruction après la Deuxième guerre mondiale il se fera remarquer par l'imagination déployée pour fabriquer en séries et sans trop de coût des maisons préfabriquées, abris pour les temps de catastrophes, ou meubles pour les établissements scolaires et universitaires. Ces mobiliers naguère purement usuels et utilitaires son recherchés pour leur minimalisme et leur sobriété.
Les anciens bureaux d'écoliers
Lors de la vente de décembre 2000 par le Cabinet Camard, ses meubles avaient déjà atteint des sommes importantes. Une étagère murale à trois plateaux en placage de hêtre, alternés de cinq caissons en tôle d'acier plié en "U" dans leur peinture d'origine bleu pétrole, rouge vif et vert vif avait été adjugée 33 000 francs; une table à plateau rectangulaire recouvert de bullgom beige, à champ bordé d'aluminium, reposant sur un piétement en compas réuni par une base cylindrique à quatre fixations "aile delta", a trouvé preneur à 68 000 francs. Un meuble de rangement en tôle d'acier laquée bleu pétrole et frêne massif blond, s'ouvrant à deux portes coulissantes sur rails, fixé sur quatre pieds profilés ( 159 x 161 x 55 cm ) a été vendu 84 000 francs. Un pupitre d'écolier à deux places à piétement à compas de section prismatique, en tôle d'acier plié et soudé laqué vert, plateau en hêtre avec découpes pour plumiers et encriers, rangements à cahiers sous le plateau , mobilier scolaire des années 50, a trouvé preneur à 6500 francs, un autre à 9500 francs. Un ensemble de trois fauteuils d'amphithéâtre à piétement ailes d'avion, dossier cintré et assise basculante garnis de Skaï s'est vendu 10 500 francs. Un lit sanatorium en tôle d'(acier pliée et soudée laquée rouge vif a obtenu 13 500 francs.
Le 3 octobre 2001 lors de la vente organisée par le cabinet Camard sous les marteaux de la SCP de commissaires-priseurs Le Mouel un bureau "compas" à plateau rectangulaire en placage de chêne, avec deux tiroirs en tôle laquée gris était estimé de 30 à 40 000 francs. Il s'est vendu XXXX. Un banc à assise, dossier et tablette en chêne massif structure tubulaire du dossier et piétement en compas était estimé de 30 à 40 000 francs. Il s'est venduXXXx.
Dans le commerce des "antiquités contemporaines" les prix de Prouvé ont d'avantage encore tendance à s'affirmer. De 10 à 15 000 francs pour de simples chaises naguère bradées à 500 ou 800 francs, de 200 à 300 000 francs pour les bibliothèques que l'on trouvait voilà peu pour moins de 50 000 francs.
Autres objets, autres passions. A la vente du 2 décembre, un lampadaire de parquet en métal laqué noir supportant un globe en tôle emboutie orientable sur rotule de Serge Mouille a été adjugé 45 000 francs; lors de la vente " Luminaires et Céramiques" organisée par Pierre Cornette de Saint-Cyr le 2 juillet 2001, à Drouot-Richelieu, une suspension à trois bras pivotants de Serge Mouille a été adjugée 120 000 francs. Un lampadaire Totem, aluminium laqué noir et socle en noyer, 175 000 francs.
La petite madeleine au goût de plastique
Depuis les années 50-60 l'invention des créateurs de mobilier a été foisonnante. On en prend plus conscience aujourd'hui que tout au long des années où elles ont imbibé la vie quotidienne. Eh oui! Ces objets, ces meubles que l'on achetait sans y prendre garde, et dont on se débarrassait parfois ingénument en les déposant sur les trottoirs, allaient devenir des objets ou des meubles de collection.
Il faut feuilleter "Sixties design" de Philippe Garner, publié aux éditions Taschen, pour éprouver un sentiment de nostalgie. La petite madeleine de Proust a parfois un goût de plastique, de verre ou de métal. C'est le bureau, la table et les fauteuils créés par Florence Knoll, les cendriers en plastique qui s'empilent de Walter Zeischegg, la chaise moulée par injection en fibre de verre et polyester de Verner Panton, le lampadaire à immense tige en acier courbé sur piétement en parallélépipède de marbre de Achille et Pier Giacomo Castiglioni, les fauteuils "coquetier" d'Eero Aarnio ou de Marc Held, la télévision toute blanche dans sa coque de Roger Tallon, le fauteuil tout en mousse de Gaetano Pesce, le pouf en polyester rempli de petite billes de polyuréthanne dessiné par Piero Gatti, Cesare Paolini et Franco Téodoro et produit, à combien de milliers d'exemplaires, par Zanotta ou bien le fauteuil gonflable de Jonathan De Plas, Donato D'Urbino et Carla Scolari...
Du fonctionnel à la dématérialisation
Le Musée des Arts Décoratifs de Montréal a constitué depuis 1980 une fabuleuse collection du design du XX ème siècle, plus précisément de la seconde partie de ce siècle. Liliane et David M. Stewart ont été les initiateurs de ce projet concrétisé par un livre paru en 2000 chez Flammarion dont le découpage clarifie les tendances par grandes périodes de dix ans.
Les années 50 sont celles de la quête de la beauté fonctionnelle. La prospérité des États Unis fait naître le "good design".Les noms qui se dégagent sont ceux de Charles et Ray Eames avec leurs meubles de rangement d'acier galvanisé et de contre-plaqué plastifié, leurs fauteuils fibre de verre et acier; George Nelson avec ses canapés acier aux arêtes vives, Isamu Noguchi qui marrie le Formica et l'acier, Arne Jacobsen, avec ses sièges en contre-plaqué moulé, Eero Sarinen avec ses tables d'aluminium revêtu de plastique et ses chaises tulipes...
Les années 60 animent la Révolution du design. Eero Aarnio, s'inspire de l'astronautique, Gae Aulenti des robots. Achille et Pier Giacomo Castiglioni dessine dans l'espace son fameux lampadaire; Cesare Colombo empile les unes sur les autres ses chaises de plastique moulé; Olivier Mourgue recouvre de jersey extensible sa chaise longue "bouloum", et Pierre Paulin son fauteuil inspiré de la courbe sans fin de Moebius...
Les années 70 renvoient au pluralisme et à la défense de l'environnement. Ainsi en va -t-il des chaises, chaises longues, fauteuils, repose-pieds en carton ondulé de Frank O. Gehry ; du portemanteau Cactus de Guido Drocco et Franco Mello ; de la lampe "boa" de Livio Castiglioni et Gianfranco Frattini ; de la chauffeuse et repose pieds acier et garniture de laine d'Oscar et Ana Maria Niemeyer; du chiffonnier tout en courbes de Shiro Kuramata ou la chaise pliante, modèle "plia", plus de 6 millions d'exemplaires vendus, de Giancarlo Piretti. Richard Sapper conçoit sa lampe de table de travail à longs bras articulés posée sur un petit socle et multiorientable...
Les années 80 font entrer à toute vitesse dans le postmodernisme. Toshiyuki Kita conçoit le fauteuil sans pied dépliant houssé de couleurs vives avec son appuie-tête à oreilles évoquant irrésistiblement Mickey Mouse; Dan Friedman s'inspire du Pop Art pour ses meubles en Surell; Andréa Branzi fabrique des bibliothèques dont les étagères de verre ne sont retenues que par des filins d'acier; Élisabeth Garouste et Mattia Bonetti présentent leur collection "Nouveaux barbares " qui intègre les matériaux les plus primitifs, bois trouvé peint, paille, peaux de bêtes ; Philippe Starck invente ses tables tout en verre au plateau reposant sur des pieds en forme de cornes de taureaux...
Les années 90 enfin seraient celles de la dématérialisation. Ainsi, la bibliothèque en un ruban d'acier trempé de Ron Arad; la chauffeuse tressée comme un panier de Marc Newson ; la suspension en bouteilles de lait ou le chiffonnier dont les tiroirs indépendants les uns des autres sont retenus tout de guingois par une sangle de Tejo Remy; la table basse en aggloméré de récupération de Ali Tayar; ou le mobilier de type lits et chariots d'hôpital Antonio Citterio et Glen Oliver Löw...
Les architectes créent la mode
Une vision plus française du paysage conduit à intégrer d'autres noms qui ont leur importance autant nationale qu'internationale. Ceux, d'abord, des aménageurs de territoires : Andrée Putman, architecte d'intérieur, qui installe aussi bien les maisons de ses amis qu'à Bordeaux le CAPC et à New York, l'hôtel Morgans ; Philippe Starck qui intervient dans le monde entier et donne son style au Café Costes à Paris ; Christian de Portzamparc qui revoit le Café Beaubourg comme Olivier Gagnère le Café Marly, ou bien Jean Nouvel qui programme l'hôtel Saint-James à Bouliac dans la banlieue de Bordeaux. Par le travail sur des lieux publics ces architectes innovent dans les volumes, imposent de nouvelles façon de les meubler, créent parfois les mobiliers les mieux adaptés à leur vision. En sensibilisant le public à des formes originales, ils lancent un style et indiquent ce qui est à la mode. Cette piste opportune bien montrée et démontrée est un des fruits du magnifique livre sur le "Mobilier français 1960-1998" de Yvonne Brunhammer et Marie-Laure Perrin aux Éditions Massin. On y constate l'influence de la commande publique : l'effet Marc Held et Annie Tribel, Starck, Ronald-Cecil Portes, Wilmotte, Paulin sur l'Élysée de François Mitterrand, l'effet Putman sur les ministères des Finances et de la Culture de Jack Lang, conjugué là avec l'effet Sylvain Dubuisson.
On y lit aussi la transformation majeure de notre cadre de vie. Ce sont les meubles du quotidien comme la chaise 510, à structure tubulaire vert, "Éducation nationale"; la commode DF 2000 en lamifié de Raymond Loewy ; le tabouret démontable et empilable Tam-Tam de Henry Massonnet ; les tables et chaises de Starck, de Wilmotte ou de Pascal Mourgue. Et de tant d'autres.
Et plus rares dans le paysage, apparaissent les pièces créees par les artistes comme Diego Giacometti, César, Niki de Saint-Phalle, Robert Combas, Bernard Rancillac, Louis Cane... Ou bien de cet artiste français vivant aux États unis, Bernar Venet, dont le mobilier d'acier aux strictes mais riches lignes est actuellement présenté à la galerie Rabouan-Moussion à Paris.
Publié par Le Figaro ( 2001 )
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