Yoyo Maeght : Chronique de désamours
Les histoires d’amour, en général, finissent mal... C’est en tout cas ce que dit la chanson. L’histoire, de trois générations de marchands d’art (parmi les trois ou quatre plus importants et plus emblématiques de la planète), cette saga que nous raconte Yoyo Maeght depuis les coulisses aurait pu être une histoire d’amour… Hélas… on est bien détrompé à la lecture de ce livre que Yoyo vient de publier chez Robert Laffont : « La saga Maeght ». Ce livre intelligent, fourmillant d’anecdotes et de détails savoureux, on le dévore comme un polar d’été. C’est de prime abord le récit fabuleux d’une plongée familière, familiale, intime dans ce panthéon des artistes constituant l’entourage amical, prévenant du grand-père fondateur : Aimé Maeght. Pas des artistes au rabais, des peintres du dimanche ou des barbouilleurs à la petite semaine… Non, ce sont les plus grands artistes du siècle, les créateurs les plus inspirés, des icônes de l’histoire de l’art : Auguste Bonnard, Henri Matisse, Kandinsky, Georges Braque, Alberto Giacometti, Miro, Calder, Tapiès, Chillida, Picasso, Chagall, Duchamp… Imaginez le jacuzzi de culture dans lequel baignent alors les Maeght. Une féérie dans laquelle flottent notre imagination et nos souvenirs. Les souvenirs, d’abord, de Françoise Maeght, appelée Yoyo comme l’avait rebaptisée Jacques Prévert.
Aimé, l‘aïeul, et son épouse Margueritte, dite Guiguite, ont vécu pour l’art d’un bout à l’autre de leur vie. Pas en artistes à proprement parler mais en metteurs en lumière des artistes : par les éditions, les lithographies, les expositions, les galeries , une fondation… Issus d’un milieu plus que modeste ils deviennent les Cecil B. de Mille chics de l’art moderne et contemporain. Cette vie industrieuse et magnifique s’est fixé pour but d’aider les peintres, les sculpteurs à se faire connaître et à montrer au monde leur génie. Et aussi de mettre sur le marché avec des résultats munificents les œuvres les plus belles de ces artistes choyés. Le couronnement est à Saint-Paul de Vence la création – en 1964, voilà tout juste un demi-siècle - de l’irremplaçable et sublime Fondation Aimé et Margueritte Maeght, abritant chefs d’œuvre et collections inouïes dans le cadre magique d’une montagne embaumée de senteurs provençales et toute bruissante du crissement des cigales.
Ces inventeurs de beauté, ces passeurs, donnent naissance à deux fils. Le plus jeune, Bernard, est emporté à onze ans par une leucémie. Son aîné, Adrien, se retrouve alors l’unique héritier éventuel, le jour venu, des trésors d’art amassés et de la fortune accumulée par Aimé et Guiguite. (Avec sa demie-sœur Sylvie, née hors mariage, d’Aimé et d’une de ses secrétaires). Rien des facilités de la vie n’est refusé par ses parents aimants à ce fils devenu unique. Rien ne l’empêche de mener sa vie à sa guise et de pousser jusqu’aux limites sa passion dévorante pour l’automobile et leur collection. Son implication dans le « business » familial, intermittent et à éclipses, même si Adrien est un excellent imprimeur d’estampes et un galeriste reconnu, ne gâche jamais sa vie de « fils de famille ». Il est plus attiré par Saint-Germain-des-Près, les plages du bout du monde, les virées ou les rallyes avec les copains que par l’accomplissement du rêve de ses parents. Même s’il en profite allègrement. Son style de vie, nouveau dans la lignée, saugrenu, incongru, conduit inévitablement à la rupture avec son père, déçu, dépité. Sa mère au demeurant lui conserve sa bénédiction.
N’empêche, l’amour familial d’Aimé et de Guiguite se reporte de fait sur les petits enfants : Isabelle, Florence, Françoise-Yoyo et Jules. Quatre enfants élevés dans de beaux appartements parisiens, entourés de nounous qui remplacent peu ou prou les parents accaparés ailleurs par d’autres distractions. Ou laissés dans une liberté qui choque les parents de leurs petits camarades. Dans cette fratrie, la plus jeunes des « p’tites filles », Yoyo n’est d’emblée pas la mieux traitée. Longtemps, pour plaisanter, on lui fait même accroire qu’elle est une enfant trouvée sur les marches d’une église… Drôle de plaisanterie, inventée par Prévert et bien cruelle pour la cadette jugée par sa mère moins jolie à sa naissance que ses deux aînées… À l’inverse, le garçon, né plus tard, le petit dernier, a droit à un accueil plus charmant et surtout à la diligence de ses sœurs qui s’occupent beaucoup de lui tissent un cocon.
Le temps passe, les enfants grandissent. La romance va tourner au vinaigre. La disparition des grands-parents, l’effacement d’une mère affaiblie vont introduire dans ce petit groupe où l’argent dûment gagné foisonne les germes d’une véritable guerre. Il faut dire que le plus naturellement du monde, comme on le ferait dans une famille rassemblée et pétrie de seuls sentiments de miel et de sucre, à chaque fois que l’occasion se présente, les successions successives (Guiguite, Aimé, Paulette, la mère…) sont laissées dans un pot commun, dans une indivision confiée à Adrien, le pater familias et à l’aînée des filles Isabelle. Qui manquent souvent de précautions et se retrouvent victimes de manipulations. Yoyo s’affaire pour la boutique de jouets automobiles annexée, pour la Fondation dont elle est nommée administrateur en 2002, devient directrice de Maeght éditions, où elle apparaît comme secrétaire sur les fiches de paie. Voilà pour le courant des jours. Hélas, quant au fond de l’histoire, quant au fonds Maeght, comme le rapporte Yoyo, le compte n’y est pas. Sur de bonnes intentions affichées, à travers des imbroglios, des chausse-trapes, des coups fourrés, des faux semblants, des listes perdues, un ordinateur disparu, des comptes incomplets, des erreurs de gestion, des ventes incongrues d’œuvres ou de biens immobiliers, des révocations… bref, via mille et une bizarreries, touche après touche, il se trouve que ni Yoyo, ni sa sœur Florence, ne retrouvent in fine, ni dans les papiers, ni en bonnes et dues traces d’actifs ou en finances, leur mise originelle. C’est à dire la part leur revenant des successions de leur mère ou de leurs grands-parents. Passons sur toutes sortes d’avanies subies par ces deux sœurs comme la recherche d’adn dans la bouche même de Yoyo par les gendarmes ou la condamnation par son aînée de l’accès à son propre bureau. Yoyo perd tout pouvoir et tout ce qui la reliait à la maison Maeght. Il faut la logique intervention des avocats et de la Justice pour remettre peu à peu de la clarté dans la bouteille d’encre et rendre à Yoyo sa totale autonomie. « Que vais-je faire maintenant que je suis libre ? » Yoyo pose cette question en dernière phrase de son livre. Gageons que sa vivacité, son intelligence, son expérience et sa connaissance de l’art et de ses circuits lui apporteront très vite une réponse heureuse. À nous aussi…
Jacques Bouzerand
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